Premier Chapitre
Quelque chose n’allait pas.Une étrange sensation avait pris possession de Sveinar. Un picotement le long du dos, des fourmis dans les jambes, des araignées glacées sur la nuque. Il dansait d'un pied sur l'autre en promenant autour de lui un œil inquiet. Quelque chose n’allait pas, mais quoi ?
Le Roi en personne entrerait bientôt dans cette pièce. S’il commettait le moindre impair... Mais c’était autre chose. Il avait imaginé cent fois commettre une balourdise devant le monarque. La vision de sa tête roulant sur la table et semant le désordre parmi les convives le tourmentait depuis qu’il avait reçu sa convocation. Il la chassa encore une fois.
Si seulement il avait été un peu plus intelligent ! Les autres avaient certainement compris ce qui se tramait. Il n'y avait qu'à voir comment les épaules de Lest s'étaient affaissées. Le Consul avait perdu une bonne dizaine de centimètres en entrant - ce qui ne l'empêchait pas de les dominer d'une bonne tête. Qu'est-ce que Sveinar fichait ici, de toute façon ? À peine arrivé, il voulait déjà repartir au triple galop jusqu'à la Cime. Peu importe qu'on le traite de fou ou de lâche !
Quoique… Comment réagirait Aasa si elle le voyait se tortiller ainsi ? Elle était si fière d'être mariée à Gouverneur. Lorsque le messager vêtu de rouge leur avait lu la convocation, elle avait couru à travers le village en criant à qui voulait l’entendre que son époux allait dîner à la table du Roi. Ce souvenir le réchauffa, mais la sensation s'évanouit bientôt. Allons, que se passait-il donc ?
Sveinar inspira profondément. Tout se passerait bien. Cette convocation n'avait rien de surprenant. Le Roi invitait les Gouverneurs à sa table au moins une fois par décennie.
Jusque-là, tout s'était déroulé comme son prédécesseur l'avait décrit. Après quatre jours d'une pénible descente sur des sentiers noyés par la fonte des neiges, Sveinar était arrivé à Haute-Colline. Il avait à peine eu le temps de se dégeler les orteilsque déjà les autres Gouverneurs atteignaient la capitale à leur tour, raides comme des troncs sur leurs carrioles délabrées. Tous avaient répondu à l’appel, même la vieille Wisma qui vivait en haut de la Montagne du Couchant.
Des attelages luisants, remplis de banquettes soyeuses, les attendaient à la garnison de la frontière. Ils avaient filé comme le vent sur la route royale, le nez collé aux fenêtres. Les vallées de Ronin et les plaines de Dol contrastaient avec le paysage accidenté, composé essentiellement de roches et de pins, où ils avaient tous grandi. Et que dire des forêts feuillues de Fielara ! Le plus pénible était de supporter Vali. Le Gouverneur de Point-du-Jour n’avait cessé de jacasser au sujet du compliment qu’il comptait adresser au Roi. Un long mois après leur départ, ils étaient parvenus en Vespérance. La poussière, mélangée à la sueur, leur faisait comme une seconde peau lorsqu’ils avaient atteint les portes de Rhoen Feh.
Une armée d’hommes et de femmes en livrée rouge les avait pris en charge dès leur entrée au palais, baignés, récurés jusqu’au bout des ongles et habillés. Sveinar s’était à peine reconnu dans le miroir de sa chambre. Si Aasa pouvait le voir, à cet instant ! Il n’avait plus peur.
Enfin détendu, il avait dormi comme une souche dans le lit gigantesque, puis le ballet des serviteurs avait repris : un nouveau bain, un déjeuner princier, et enfin une visite à travers le palais. Il avait croisé ses compagnons au hasard des couloirs et échangé avec eux des sourires maladroits, mais déjà deux serviteurs ouvraient une autre porte en s’inclinant, et on le poussait vers des jardins ou une galerie d’objets venus des quatre coins des Terres Conquises. La nuit tombait lorsqu’il avait finalement rejoint les autres cimois pomponnés et parfumés. On les avait guidés à travers des couloirs moelleux jusqu’à la salle de réception où ils dîneraient avec le Roi.
Alors qu’il passait la porte, un serviteur lui avait glissé à l’oreille la place qui lui était attribuée. Sixième à la droite du Roi ! Ses jambes avaient failli se dérober sous lui. Si près ! Aussitôt, l’inquiétude était revenue. Et si Sa Majesté lui adressait la parole ? Serait-il plus offensé si Sveinar gardait le silence, ou s’il disait une bêtise ?
Après avoir passé la journée à arpenter des pièces débordant de bibelots, la nudité de cette immense salle dont les dimensions se perdaient dans l'obscurité l'avait surpris. Les rideaux étaient tirés. Les chandelles d’un unique lustre dessinaient un vaste cercle de lumière au-dessus de la table déjà dressée. Des serviteurs pareils à des statues se tenaient le long des murs, le visage dissimulé dans la pénombre. Et c’était à cet instant précis que Sveinar avait senti cette pointe douloureuse se ficher dans son dos.
Wisma se racla la gorge. Le son ricocha sur la voûte. Sveinar transpirait et essuyait ses mains moites sur les bords de son manteau de fourrure. Il s’approcha de la table. Les couverts étincelaient, les assiettes en or massif semblaient n’avoir jamais servi et les verres en cristal se paraient de mille éclats.
Pourquoi la nature l'avait-elle fait si sot ? Lest fixait lui aussi la table, le teint blafard et la lippe tremblante. Même Vali se taisait. Lorsque la cloche tinta une première fois dans l’ombre, il sursauta violemment. Wisma laissa échapper sa canne.
Sveinar se tourna vers la grande entrée. Un filet de sueur glacée coula dans son cou. Son manteau pesait sur ses épaules. Les livres que le Percepteur venait d’examiner déploraient une nouvelle année de mauvaises récoltes. Et lui, Sveinar l’imbécile, se présentait à la Cour vêtu d’une fourrure de léopard des neiges ! On n’en trouvait pas à moins de quinze vals d’or !
En un éclair, il comprit enfin. Il y avait seize assiettes sur la table, et quatorze personnes autour. Où étaient les Gouverneurs des autres pays ? L’invitation mentionnait une fête en l’honneur des Terres Conquises, pas uniquement de la Cime ! Lest avait les yeux rivés sur la porte par laquelle ils étaient entrés, bloquée par des serviteurs qui ne dissimulaient même pas les coutelas glissés dans leur ceinture. La cloche sonna une deuxième fois, solennelle et fatidique, et d’un même geste, ils tombèrent à genoux, le front sur la pierre froide.
Un rire joyeux répondit à ce geste et fit frémir chacun des dos courbés.
- Mes amis ! Un genou à terre aurait suffi !
Sveinar n’arrivait pas à bouger. Des pas résonnèrent dans le silence, puis un raclement, le tintement du fer et de l’or, l’empressement des serviteurs et le bruissement de soies. Et, sec et impérieux, un nouveau claquement de mains.
- Relevez-vous et venez vous asseoir près de moi.
Baigné dans la lumière du lustre, Sire Sang, un coude posé sur le coin de la table, jouait avec son collier orné d’un rubis plus gros qu’une pièce de monnaie. Il les observait avec un petit sourire en coin, mais ses yeux gris restaient froids. Son visage où les années n’avaient pas de prise restait celui d’un adolescent aux traits pointus et aux cheveux blonds et frisés à peine aplatis par une couronne. Il était vêtu d’un pourpoint cramoisi orné de motifs sombres qui laissait voir par de larges ouvertures les manches bouffantes d’une chemise immaculée. Le délicat jabot de dentelle, tout aussi blanc, aurait pu être tricoté par une araignée. Un couteau d’apparat pendait à sa ceinture dans un fourreau serti de pierres précieuses. Il émanait de lui une telle aura de puissance et de beauté que les yeux de Sveinar s’embuèrent.
Comme dans un rêve, le jeune Gouverneur de la Montagne du Levant s’approcha de sa place. Lest s’assit à la gauche du Roi, suivi de Wisma. Sveinar remarqua que la chaise à la droite de Sire Sang était restée vide.
Une fois qu’ils furent tous installés, le Roi les fixa un à un, lentement. Son sourire s’élargit jusqu’à pratiquement fendre son visage en deux. Lorsque les prunelles grises le crucifièrent, Sveinar enfonça ses mains dans la nappe pour en cacher le tremblement. Le silence était tel qu’il craignit qu’on entende les battements précipités de son cœur.
- Ah s’exclama soudain Sire Sang, les faisant tous sursauter. Enfin un peu de calme ! Le croiriez-vous, si je vous disais qu’on me jacasse dans les oreilles à longueur de journée ?
Tous marmonnèrent des réponses indistinctes, un assentiment prudent mêlé de titres protocolaires ronflants.
- Si vous saviez comme il me tardait de vous voir, mes amis ! J’ai cru mourir d’ennui en comptant les jours qui me séparaient encore de ce dîner.
Il éclata d’un rire bref, puis porta une main blanche et fine à ses lèvres, l'air faussement contrit :
- Oh, pardonnez-moi. Je ne devrais pas parler de la mort avec une telle légèreté. Parfois, j’oublie que chacun d’entre vous peut tomber entre ses griffes à tout moment.
Cette fois, personne n’osa répondre quoi que ce soit. Sveinar plongea le nez dans son assiette encore vide et y rencontra le reflet de son visage décomposé. Un nouveau claquement le tassa encore davantage sur sa chaise. Une porte s’ouvrit et les serviteurs se déversèrent dans la salle, les bras chargés de plats qu'ils présentèrent au Roi avant de les disposer sur la table. Sire Sang hocha la tête et attribua à chacun d’eux des noms extravagants. Le gibier dégoulinant de graisse, la chair à peine cuite suintant encore de longues rigoles de sang – « fruits de forêt cueillis le matin même », les légumes écrasés en bouillies écarlates – « l’esprit des campagnes », les tourtes fumantes aux arômes entêtants – « la surprise sous la carapace », et bien sûr le vin aux épices de Vespérance, liquoreux et sombre, clapotant doucement dans les carafes. Efficaces et précis, les serviteurs se retirèrent dans l’ombre mais Sveinar sentait toujours la brûlure de leurs yeux dans sa nuque. La gorge serrée, il se demanda comment il pourrait avaler la moindre bouchée.
- Mangeons ! s’écria le Roi en s’emparant de sa fourchette.
Et ils s’exécutèrent. En mastiquant sa part de tourte brûlante, Sveinar se demanda où se trouverait le poison. Des herbes dans le vin ? Des champignons mortels réduits en purée ? À chaque instant, il s’attendait à ce qu'une douleur atroce se répande dans ses entrailles, puis l’agonie et enfin la mort promise quelques instants plus tôt.
Vali, en face de lui, engloutissait chaque cuillerée de son « suprême de fleurs du printemps » férocement, comme s’il voulait en finir le plus rapidement possible. À côté de lui, Oleiv de la Butte des Soupirs piochait dans chaque portion avec circonspection. Ils pensaient tous à la même chose : quel mets leur serait fatal ?
Sveinar vida une nouvelle coupe de vin, espérant sans grande conviction anesthésier ses sens. Le dîner s’achevait et personne ne s’était écroulé, la main crispée sur le ventre ou l’écume aux lèvres. La table fut débarrassée des fromages, les assiettes furent remplacées et huit serviteurs apportèrent le dessert final sur un immense plateau de bois. Le gâteau représentait les Terres Conquises en relief et en couleurs, des cours d’eau aux montagnes. Les convives en oublièrent le temps d’un battement de cils leur situation. Leurs yeux glissèrent lentement sur les provinces qu’ils avaient parcourues, de la Cime à Vespérance.
Feignant de ne rien remarquer, Sire Sang fit glisser son poignard hors du fourreau et, tranquillement, entreprit de découper lui-même les parts. Il les servit à chaque convive accompagnées d’une anecdote sur la conquête de telle cité ou les curieuses coutumes de tel village. Il plaisanta même sur l’absence du Pays Brûlé : « je n’allais quand même pas vous faire manger un morceau de gâteau cramé ! ». Mais les convives ne réagissaient que mollement ; ils regardaient impuissants le couteau s’approcher des aiguilles grises nappées de sucre et des lacs bleus de leur pays.
Le découpage cessa juste avant : tous étaient servis. En Sveinar, une profonde tristesse remplaça peu à peu la terreur. Il n’aurait jamais pensé mourir si loin des siens. Le souverain reprit sa place à la tête de la table, et suivit leurs regards.
- Ça fait loin, vu d’ici, n’est-ce pas ? Presque hors de portée, ajouta-t-il dans un murmure doucereux. Puis, plus fort : Mangeons !
Sveinar prit sa cuillère d’une main tremblante, l’esprit plus clair que jamais. Sire Sang engloutit son propre palais en chocolat, plissant les yeux de contentement. Peut-être goûtait-il lui-même le poison… Sans le craindre, évidemment. Et Sveinar mangeait, les yeux fixés sur sa montagne, sa si belle montagne…
Les serviteurs débarrassèrent la table, laissant seulement le reste de gâteau après un signe du Roi. Ce dernier tapota son ventre avec satisfaction, puis les toisa en soupirant.
- Je suis déçu, mes amis.
On y était.
- Je me réjouissais de votre venue, je comptais sur vous pour apporter un peu de divertissement à ma morne immortalité. Si vous saviez comme je m’ennuie ! Mais vous n’avez pas décroché un mot. Je me suis même retrouvé dans le rôle de l’amuseur public, m’épuisant à vous distraire… Comme si j’étais à votre place, et vous, à la mienne !
Il laissa échapper un rire incrédule.
- Vous n’avez donc rien à me raconter ?
Il se leva brusquement et alla se planter de l’autre côté de la table, juste devant la partie intacte du gâteau.
- Peut-être pensez-vous que je suis au courant de tout. Et c’est possible, en effet. Mais j’aime qu’on me raconte des histoires, même lorsque je les connais déjà. Allons, prenez pitié de votre Roi qui s’ennuie dans son palais poussiéreux depuis mille ans. Que dit-on de votre contrée, déjà ? On y trouve autant de légendes que d’épines sur un sapin ?
Il s’éloigna de la table un instant, faisant mine de réfléchir, puis pirouetta vers eux.
- Figurez-vous qu’il y a peu, une amusette a voleté jusqu’à mes oreilles depuis votre nichoir. Voulez-vous l'entendre ?
Il se promena autour de la table, faisant voleter ses doigts dans l’air, et leur adressa une révérence grotesque avant de claquer des talons.
- Mesdames et Messieurs, le Conte du Roi Nigaud ! rugit-il.
Personne n’osait le regarder.
- Dans une contrée lointaine, un Roi très puissant et très riche coulait des jours heureux en son immense palais. Tout n’était que fêtes et festins, spectacles fastueux et bals inoubliables. Avide de divertissement, ce Roi à la tête légère y dépensait étourdiment l’or prélevé auprès des honnêtes gens. Écrasés sous l’impôt mais impuissants face aux garnisons implantées dans chaque contrée, ces derniers ployaient chaque jour plus bas sous le joug et usaient leurs membres à la tâche pour survivre. Lors, dans le pays le plus éloigné de ce fameux palais, un voleur apparut sous les traits d’un homme sage et avisé.
« Je viens d’un hameau perdu dans la montagne, tellement reculé que tous l’ont oublié, annonça-t-il. Chez moi, le Roi ne peut venir, car cet endroit est protégé par un esprit très puissant... Qui vient avec le cœur malveillant ne rencontre que le vent ! Cela signifie que seuls ceux qui le cherchent avec de bonnes intentions peuvent le trouver. »
Dans chaque village traversé, le voleur répétait son histoire à qui voulait l’entendre, et comme on l’écoutait ! Tous étaient subjugués par le récit de l’homme rusé... Et c’est ainsi qu’ils décidèrent un jour de confier au voleur une partie de leurs maigres richesses. Ils trichèrent sur leurs livres de comptes, arguant ici une mauvaise récolte, là une vilaine épidémie... Dès le Percepteur parti, ils pouvaient profiter de l’argent qu’ils avaient soustrait. L’impôt royal pesa moins lourd sur leurs épaules, ils purent redresser le dos, relever la tête et rire, rire d’avoir dupé leur Roi...
Sire Sang fit une pause, attrapa la coupe de Wisma et la vida d’un trait. Elle laissa échapper un sanglot lorsque l’étoffe de sa manche lui effleura la joue. Mais déjà il reprenait, d’un ton plus déplaisant.
- C’était la version initiale. Je la trouve divertissante, mais elle me laisse comme un goût d’inachevé. J’ai donc pris la liberté d’en imaginer la suite.
Or donc, le Roi en son palais de fête assistait à une énième représentation d’acrobates lorsqu’un petit oiseau se posa sur sa fenêtre et l’interpella :
« Sire ! Sire ! On vous ment, on vous vole et on se moque de vous ! s’égosilla-t-il.
- Mais enfin, que signifie ce raffut ? Les oiseaux ne parlent pas, surtout pour insulter le Roi !
- Sire, je vous conjure de m’écouter, répliqua l’oiseau sans se démonter »
Intrigué, le Roi l’invita à se poser sur son épaule et le petit messager lui chuchota à l’oreille l’histoire du voleur et de ses compagnons. D’abord incrédule, il demanda à voir les registres des comptes et constata qu’en effet, il recevait beaucoup moins d’impôt dans cette contrée. Lui qui avait apporté la paix dans ce monde en l’asservissant et en bannissant crimes et rapines, voilà que son peuple le trahissait odieusement ! La consternation fit place à la rage, puis à la peine. Car le Roi aimait ses sujets tendrement et ne leur souhaitait pas de mal. Toutefois, il ne pouvait laisser pareil crime impuni. Ce serait comme une invitation à la désobéissance...
Sire Sang exhala un soupir interminable en posant les mains sur le rubis qui ornait sa poitrine. Puis l’une d’elles glissa le long du pourpoint et caressa son couteau d’apparat.
- Il ordonna à son meilleur cuisinier de lui concocter le festin le plus savoureux jamais réalisé et envoya une invitation aux Gouverneurs fautifs. Il les remercierait ainsi pour toutes les années pendant lesquelles ils l’avaient servi loyalement.
Son poignard ciselé se planta en vibrant dans le gâteau. Vali faillit choir de sa chaise, le visage éclaboussé. Impassible, le Roi continua son tour de table.
- Puis il leur infligerait un châtiment à la hauteur de leur trahison, eux qui avaient profité de toutes les faveurs qu’il leur avait accordées. Quant à l’éternel repos, la délivrance de leurs corps torturés...
Il posa les mains sur la chaise qui était restée vide. Le silence tournoyait au-dessus d’eux tel un oiseau de malheur.
- Cette grâce ne leur serait accordée qu’en échange de certaines informations.
- Votre Majesté, je n’ai jamais voulu… commença Vali.
Un claquement de mains le fit taire. Les Gardes de Sang, dans leur armure noire, les encerclèrent.
- Vous savez, je ne vous en veux pas tellement. Ne comprenez-vous pas que dans cette histoire, les Gouverneurs sont les véritables dupes ? Poussés à la faute par un homme rusé qui n’a pris aucun risque ! Croyez-vous qu’il lèvera le petit doigt lorsque je viendrai avec mes soldats exterminer tous ceux qui ont profité de cette odieuse conspiration ?
Sveinar ne parvenait plus à respirer. Un déluge de pleurs et de supplications s’éleva, mais le Roi les toisa froidement, inhumain.
- Perché sur vos richesses, croyez-vous qu’il viendra en aide à vos familles ? Non, non... Il restera bien caché pendant que mes armées réduiront en cendres vos villages. Il se gavera de vos restes, et il rira, rira, de s’être joué de vous !
Sveinar frémit lorsque les chaînes glacées cliquetèrent le long de ses poignets. Lentement, Sire Sang s’approcha de ses prisonniers et les passa en revue en silence. La tête baissée, le jeune Gouverneur remarqua que les broderies de son pourpoint cramoisi mettaient en scène des corps suppliciés. Il aurait voulu rester impassible, affronter sa mort prochaine avec courage, mais c’était peine perdue. La sentence avait réduit à néant sa fierté. Le roi récupéra ensuite son couteau sur le gâteau et le lécha avec délectation avant de conclure sèchement :
- Le premier qui me livre une information pertinente sur notre convive manquant aura droit à une mort clémente ! Livrez-moi ce hameau de misérables voleurs, et je serai bientôt à ses portes avec les pires intentions du monde ! Nous verrons alors si les pouvoirs de cet esprit protecteur seront de taille à rivaliser avec les miens !