Premier Chapitre
Les plaines du comté de Cubéria étaient baignées par la douce lumière d’une belle journée d’Évir. Une légère brise courait et faisait se remuer mollement une succession d’étendards rouges marqués de la pioche et du serpent. L’armée exinienne était en marche, répondant à l’injonction de Caribéris.Sur le plat pays résonnaient le grondement des sabots de la cavalerie lourde, le cliquetis des armures et le meuglement de bœufs qui tiraient les imposants chariots chargés de l'intendance nécessaire aux troupes. Des tentes, des pavillons, mais aussi des meules, des fours et des outils de forges, pour les cas où l’armée rencontrerait sur sa route des installations détruites ou hors d’usage.
Bernard Gildwin, héritier déchu du trône d’Exinie, chevauchait à leur tête dans son armure de guerre. Il s’amusait encore du visage qu'avaient fait son père et son frère en apprenant la levée de l'ost royal. Quelle formidable ironie ! Ils avaient abreuvé le Grandval de générosités pour que s'arment les tribus rebelles et voilà qu’ils envoyaient leurs meilleurs guerriers pour les combattre. Bernard avait toujours su que leur stratégie était sans issue, mais il devait bien se l’avouer, elle avait avorté plus promptement qu’il ne l’avait imaginé. Un hasard peut-être ? Ou cette fameuse clairvoyance immanente aux Gargandra ? Si tel était le cas, il fallait reconnaître que Caribéris savait régler les problèmes non sans un certain humour.
— À votre tête, je devine que vous repensez à votre père.
La voix caverneuse de Gudrun tira le prince de ses pensées. Le géant chevauchait à ses côtés sur un terrible étalon. Un exumas, le cheval de trait le plus haut et le plus massif du Monde d’Omne, peu fiable à la course, mais seul capable de porter un Noromion en armure. La taille des deux obligea Bernard à lever le regard :
— Pour être tout à fait franc, c'est davantage à mon frère que je pense, répondit-il en souriant.
— Allons bon ! Gui et bien moins responsable que votre père dans cette histoire, pourquoi est-il la source principale de cet air réjoui ?
— Ah ça ! Je te l'accorde, il ne pourrait pas être moins responsable et la raison de mon air réjoui n'a rien de très glorieuse. C'est bien regrettable, mais il y a chez moi un côté mesquin qui refait surface de temps à autre. Je repense à la stupeur qui s'empara du conseil royal à l'annonce de la levée de l'ost et figure-toi, mon bon Gudrun, que Gui, du haut de sa parfaite inexpérience, fut le premier à prendre la parole. Il pensait déjà que ses petites manigances avaient porté leurs fruits et il s'est violemment opposé à l'envoi de troupes. Avec des alliés comme une partie des tribus du Grandval et la Systagène, il s'imaginait que le temps était venu de se dresser contre Sargonne.
Le sourire du prince s'élargit. Gudrun poussa un grognement dont il était coutumier et qui, dans le cas présent, correspondait à la manifestation d’une moquerie.
— Vous savez, s'amusa le colosse, les Noromions admirent la famille Gildwin. Vous êtes des gens plus frêles que la moyenne et regardez ce que vous avez accompli. Votre ancêtre Karlomir a fédéré les cinq comtés de l'ouest et a hissé votre lignée à leur tête. Voilà plus de trois siècles que vous vous y maintenez par la force d'un pragmatisme éclairé et sans failles. Malheureusement, il est clair que votre frère n'a pas hérité de cette qualité.
— Oui, c'est un homme décevant. Constant dans son impulsivité et désespérément prévisible.
— Au vu de notre situation, j'imagine que votre frère n'a pas
été écouté.
—Hé non ! ricana le prince, mon père a beau être aveuglé dans sa haine contre les Ugres, il sait encore faire preuve de discernement. Il a commencé par rappeler à Gui qu'il ne régnait pas encore.
— Ha ! un seau d'eau froide jeté sur cette bouillante impertinence, s'esclaffa le colosse hilare, j'aurais aimé voir ça.
Les Noromions n'étaient pas des personnes qui riaient souvent et il y avait quelque chose d'effroyable dans le son que cela produisait. Bernard sourit, partir à la guerre devenait chose moins hasardeuse avec un peuple aussi terrifiant dans ses rangs. Puis son visage s'assombrit trahissant quelques tracas.
— Oui… Enfin… Il n'y a pas que Gui. Voilà quelques générations que mes ancêtres font preuve de légèreté et le roi fourbe a su complètement se jouer des miens. Rappelle-toi à chaque instant que c'est bien à son descendant que nous aurons affaire. Il n'est pas homme à agir par hasard, nous devrons nous méfier.
Le colosse posa sur lui un regard déterminé.
— Je comptais bien redoubler de vigilance, mon prince, vous n'auriez jamais dû être envoyé représenter le Haut-Exin dans une telle entreprise, ce n'est pas la place de l'héritier du trône.
— Que veux-tu, je souriais alors que leur humeur était des plus sombre. Je n'imaginais pas qu'ils iraient aussi loin pour me le faire payer, confessa Bernard avec amertume. Ce que je crains maintenant, c'est que si mon départ était vivement souhaité, il n’en soit pas de même pour mon retour.
— Ne dites pas cela, Hugues est un père avant d'être un roi, sa colère l'aura égaré. Je gage qu'il se rendra compte bien assez tôt de son erreur.
Le prince remua négativement la tête et soupira :
— Ça serait pire encore. Je ne veux plus que les actions d'un Gargandra désorientent l'esprit d'un souverain exinien. Ma mort serait une bonne chose si elle était la conséquence d’un discernement sans faille de mon père.
À nouveau, le colosse grogna :
— Moi vivant, il ne vous arrivera rien !
— Je n'ai aucun doute là-dessus Gudrun. Merci de t’être immédiatement proposé de représenter la Noromie. Il n'y a personne en ce monde en qui ma confiance est aussi totale. Avec toi à mes côtés, cette punition peut devenir une formidable opportunité, il va nous falloir être subtils. Mes projets diplomatiques sont pour mon père une faute impardonnable, mais il vient de me donner un moyen de les concrétiser.
— Je dois lui concéder qu'un rapprochement avec l'Ugreterre ne me plaît pas non plus. Mais la haine avait en son temps faussé le jugement du roi Bertrand, peut-être fausse-t-elle encore celui de votre père. Vous êtes le prince légitime, le fait que vous surmontiez cette rancune fait sûrement de vous un Gildwin meilleur que les autres, un Gildwin qui renoue avec la grandeur.
— Je compte sur toi Gudrun, veille bien à ce que les relations avec les Ugres restent neutres à minima. Tant qu’à être envoyé à la guerre, je vais tenter un rapprochement avec leurs nobles. Je vais préparer l'avenir.
Pour la première fois de son existence, Bernard se sentait le cœur léger. Bien que fils de roi, il n’avait connu jusqu’à présent qu’une vie de passivité. Aujourd’hui, il pouvait prendre une revanche sur l’Histoire ! Il partait à la guerre accompagné d’un ami solide ainsi que des nobles les plus puissants des comtés de l’ouest : Elbe le Vieux, comte de Val-et-Mer, Yreix de Rochegrasse, seigneur du pays de l'Est-Exin et enfin Louis de Mazac comte de Mont-et-Mer, un autre soutien de poids puisqu’il était également son beau-père.
Escortés par quatre mille fantassins et mille chevaliers, il n’y avait pas grand-chose à craindre d'une guerre contre des sauvages. Au contraire, elle permettrait au prince déchu d'ajouter de hauts faits à son histoire, d’apprendre à connaître les seigneurs ugres et de tisser des liens avec eux.
Les contraintes liées à leur voyage lui avaient également permis de découvrir le royaume de Sargonne ; un pays avec lequel il serait un jour en guerre. Les troupes du Haut-Exin avaient quitté Vermillac et fait un détour par le fort de Rochegrasse dans l’Est-Exin. Elles y avaient rejoint les contingents envoyés par les autres territoires du royaume. La perte de temps avait été conséquente, mais les comtés du sud fournissaient la majeure partie des provisions et leurs marchandises devaient être escortées le plus tôt possible.
L’armée exinienne était donc entrée en Sargonne par le comté d'Armadoc. Bernard connaissait la réputation de ces terres et constata ce jour-là qu’elle n’était en rien exagérée. Ce pays était atrocement sec et hostile à la vie. Il y découvrit pourtant un peuple gai, léger, formidablement curieux et parleur. Mais les individus qui le composaient étaient également terribles et infatigables, une carne se riant du combat et plus prompte à attaquer qu'à se défendre. Les Armadociens furent sincèrement ébahis par la carrure des Noromions, mais là où d'autres auraient vu matière à se méfier, ils y virent au contraire une sorte de défi. Les seigneurs exiniens, qui n'avaient jamais rencontré de pareils exaltés, exigèrent de leurs hommes qu’ils conservent une attitude réservée et, bien qu’une soumission immédiate à toute émotion fut la norme en ces lieux, la traversée se fit sans heurts jusqu’à la fertile Béause aux terres grasses. Des frontières de l’Armadoc jusqu'à celles du comté de Cubéria, la route ne fut plus bordée que par une succession ininterrompue de champs, de vignes et de vergers.
La pugnacité des uns et l’abondance des autres ! À peine deux régions avaient-elles été traversées que Sargonne affichait déjà des atouts de poids. Se libérer de sa toute puissante domination n'était assurément pas un projet à préparer à la légère et le prince déchu se demandait quelles surprises allaient réserver les terres cubériennes. Le relief était plutôt un point faible, le plat pays se traversait avec aisance. Malgré un soleil de plomb qui harcelait les chevaux et rendait le port des armures particulièrement désagréable, leur avancée s’était accélérée. Au loin, était apparu le Mont Carcandre au pied duquel coulait le Fleuve Bleu qui le contournait par le nord. Cette élévation solitaire était tout à fait singulière au milieu de ce paysage où l’horizon était visible dans toutes les directions. Au sommet de la colline se devinaient les contours de la capitale sargonnaise. Le prince exinien regarda ses détails grandir et se dessiner à mesure qu'il s'en approchait. Si de loin sa silhouette sombre et compacte trônait au-dessus des terres comme un mauvais présage, de prêt, la cité était encore plus terrifiante.
— Le légendaire mont cubique, grogna Gudrun. Je n’imaginais pas que le récit était aussi proche de la réalité, quel terrible ennemi ce doit être !
Une main en visière au-dessus des yeux, Bernard leva la tête pour contempler la puissante Cubéria. La masse de la forteresse, gorgée par la chaleur de l'après-midi, déversait sur la plaine des cascades d'effluves ondoyantes. Nichées à une centaine de pieds, les murailles qui l'entouraient formaient une véritable carapace de pierre. Une protection presque inutile. Avec une telle portée de tir et le couloir d'étranglement formé par le pont escalier, n'importe quelle armée serait décimée avant d’atteindre les murs. Aucun engin de siège actuel ne pouvait permettre d'envahir Cubéria, il faudrait en créer d'un genre nouveau.
Bernard souffla nerveusement entre ses dents. Il en était maintenant persuadé, son frère ne devait pas régner. Comment avait-il pu sous-estimer à ce point leur ennemi ? Il allait faire courir l'Exinie à sa perte et le roi Caribéris aurait tôt fait de mettre un Gargandra sur le trône de Vermillac. Baissant le regard, il contempla le désordre qui régnait dans la plaine herbeuse.
— Un tel regroupement pour marcher contre le Grandval ! murmura-t-il comme à lui-même.
Au pied du Mont Carcandre s'étendait une vaste marée d'hommes, d’animaux et de tentes, au-dessus desquels s’agitait une kyrielle d'étendards ballottés par le vent. S'y mêlaient les oriflammes bleues barrées de la croix rouge d'Ugrion pour l'Ugreterre, les blancs marqués du pont d'or aux dix étoiles de Sargonne, les jaunes arborant le taureau blanc couronné de lauriers pour l'Othryst. Les Exiniens étaient arrivés les derniers et les armées des autres royaumes avaient établi là leurs campements. Douze mille hommes auxquels venaient s'ajouter les cinq mille Exiniens, cela faisait beaucoup pour mater de simples sauvages.
Un homme vêtu d’un pantalon et d’une tunique bleus avec sur la tête un calot brun et sur les épaules une cape de la même teinte les approcha. Derrière lui, deux jeunes garçons à tête blonde le suivaient avec une attitude très cérémonieuse. Arrivé à hauteur de Bernard, l'homme s'arrêta. Il indiqua à l'un des garçons d'aller annoncer au roi l'arrivée du contingent exinien. Probablement excité par l'importance du rôle qui lui était attribué, le jeune page oublia instantanément son attitude sentencieuse et fonça ventre à terre en direction de la ville. Il avait disparu en un instant dans la foule des militaires, agile comme une belette, et alors que Bernard le cherchait d'un œil amusé, l'homme au calot brun s'adressa à lui :
— Bonjour, sire, je me nomme Ottos de Corfalquier, je suis chargé de l’intendance du campement.
Le regard du prince revint vers l'homme avec cette mollesse dans les paupières que fait naître toute source de dérangement.
— Bonjour Sargonnais, répondit-il glacial.
L’intendant, habitué au dédain des seigneurs ugres et exinien récita machinalement un texte longuement répété :
— Vos hommes peuvent installer leur campement, le départ se fera dans deux jours afin d’achever tous les préparatifs. Sa Majesté Caribéris Gargandra, roi de Sargonne et du Thésan, exige une discipline totale de chacun et ne tolérera aucun heurt entre les troupes des différents pays de son royaume. En souverain avisé, il tient à participer, à sa manière, à la fraternisation de ceux qui, aujourd’hui, sont réunis pour faire face à un même ennemi. Ce soir est prévu un festin. Aux troupes seront apportés des cochons et des bœufs venus du pays de Mysergne et du vin d’Agresoix en quantité illimité. Sa Majesté Caribéris Gargandra tient à ce que tous profitent dignement des derniers instants de paix. Vous pourrez, quant à vous, monter à Cubéria avec vos nobles et une garde rapprochée ne dépassant pas dix hommes. Sa Majesté vous convie ce soir au festin royal.
— J’espère que le vin qui y sera servi sera de meilleure provenance que celui offert aux soldats, se moqua Bernard.
— N’ayez aucune crainte à ce sujet, sire, pour les hommes de haut rang, notre souverain ne s’est pas contenté d’un simple repas, énonça l’intendant avec apathie.
Une lueur de déception ternit le regard du prince. Peut-être était-il trop habitué aux réflexions mordantes et instantanées de son frère. Résigné, il se tourna vers Elbe le vieux :
— Vous avez la réputation de rechigner aux mondanités, est-ce le cas ?
Le seigneur de Val-et-Mer redressa la tête, comme stimulé par un regain d'intérêt. Il portait une armure grise et sobre. Sa barbe blanche depuis toujours et son visage grêlé par la petite vérole lui donnaient l’air plus vieux qu’il ne l’était réellement. À l’inverse, son corps encore robuste n’avait rien à envier à celui de soldats bien plus jeunes que lui. Le sourire qu’il affichait alors, trahit l’espoir que la remarque du prince avait fait naître, celui d’une échappatoire.
— On vous a bien renseigné, sire, lâcha-t-il d’une voix braillarde, je préfère festoyer entouré de solides gaillards en armure plutôt que de gens parés de soies et d’esprits trop complexes.
— Bien ! Vous êtes l’homme qu’il faut. Prenez le commandement en mon absence. Faites monter le camp et veillez à ce qu’il n’y ait pas d’agitation au sein de nos troupes. Et je le précise, surtout avec l’Ugreterre.
— Bien, sire, répondit Elbe en contenant un soulagement puéril.
Le prince déchu en fut amusé et se surprit à l’envier. Il allait bientôt se retrouver entouré par les puissants de pays hostiles. Tout le monde allait respecter les convenances, on ferait bonne figure, mais cela ne serait qu’un masque posé sur toute la malveillance souhaitée aux autres. Le seigneur de Val-et-Mer, lui, allait profiter de relations beaucoup plus simples et franches.
— Vous êtes tout de même un noble, lui assura Bernard, je demanderais que l’on vous fasse descendre un vin qui soit digne de votre naissance. Le tord-boyaux d’Agresoix c’est bon pour le commun, pas pour un homme de votre rang.
L’homme éclata d’un rire franc :
— Ne vous donnez pas cette peine, sire, avec les hommes je bois comme les hommes !
Le prince déchu posa sur le comte un regard déconcerté et songea que, si la camaraderie se forgeait dans la vulgarité d'une piquette âcre, peut-être après tout était-il né pour nager parmi les requins.
— C'est tout à votre honneur, répondit Bernard sans conviction.
Puis, revenant aux affaires qui l'avaient mené ici, il se tourna vers les guerriers noromions :
— Olrick, Almar, Knud, Wiland, Haldor, Gustaf, Arnulf, Delf, Turold, Fredegar, vous venez avec nous.
Les soldats frappèrent avec force leur poitrail et s’exclamèrent dans une harmonie grave et parfaite : “Notre union est forteresse”. Leurs terribles montures se mirent en marche, il sembla qu'un mur se détacha du rang pour s'aligner derrière les nobles.
Le prince déchu connaissait bien ces dix gaillards, ils lui servaient régulièrement de garde du corps. Il aimait crier leurs noms haut et fort pour les appeler. Cela donnait à tous l'illusion qu'il connaissait chacun de ses soldats par leur patronyme. Une manière peu coûteuse d'échauffer les cœurs.
Ottos de Corfalquier, qui avait patiemment attendu que les seigneurs se mettent en place, repris sur un ton monocorde :
— Messires, puisque vous semblez prêts, je vous invite à suivre Berteris qui vous conduira jusqu’au roi.
Il indiquait le second page qui, impressionné par l’attention que tous ces puissants lui portaient soudainement, tituba jusqu’à un vieux cheval à la crinière ébouriffé. Il monta en selle les jambes flageolantes, sa nervosité tranchait de manière burlesque avec l’implacable placidité du vieux canasson. Le jeune garçon se redressa pour essayer de retrouver un peu d’assurance et bafouilla :
— Si ces Majest… Heu… Ces alt… Heu non… Enfin… Messires, si vous voulez bien me suivre… Je… Je vais vous conduire au roi.
— On va plutôt suivre ta bourrique, y’a moins d’chance qu’elle s’évanouisse ! lança un Noromion provoquant l'hilarité de ceux qui avaient assisté à la scène.
— Il suffit messires, il suffit, tempéra Bernard un sourire en coin. N'avez-vous jamais été des bleus ?
Semblable à un violent orage, le rire abominable des onze Noromions venait de s’abattre sur le pauvre garçon déjà fébrile. Il restait là, pétrifié, à regarder ce mur de métal qui produisait un son parfaitement terrifiant. Le prince déchu observa un instant le gamin. Il aurait dû le considérer comme un ennemi, mais n’arrivait pas à se réjouir de l’effroi figé sur son visage. L'air compatissant il tenta de le faire revenir à sa mission :
— Nous te suivons jeune homme.
— Oui… Tout de suite… Pardonnez-moi, sire, se ressaisit le jeune Sargonnais.
Il joua des rênes et des étriers, fit faire demi-tour à son cheval et prit la direction de la ville.
— Messires, soyez les bienvenues à Cubéria, lança l’intendant, puisse la cité royale vous dévoiler ses plus belles parures avant votre départ pour la guerre.
Bernard, Louis, Gudrun, Yreix et leur escorte lui passèrent devant sans même lui accorder d’attention. Les colosses défilèrent au rythme lent et pesant de leurs montures qui, parées de lourdes bardes et de chanfreins à cornes, paraissaient encore plus monstrueuses.
Suivant leur guide, la troupe atteignit la porte du Val. Bernard leva la tête en passant sous l’imposant ouvrage. Cette entrée fortifiée représentait à elle seule un obstacle solide à l'accès du pont escalier. C'était la première fois que le prince exinien le gravissait, la montée était vertigineuse. Même impressionné par l'inexpugnable Cubéria, il remarqua chez les Noromions des signes de nervosité. Ces colosses, terribles sur un champ de bataille, n'en menaient pas large sur cette impressionnante construction. Le vertige ! L'importance du rôle qu'il pouvait jouer dans une bataille n'était pas à prendre à la légère. Voilà un problème auquel il faudrait réfléchir pour s'attaquer à cette forteresse. Elle ne semblait pouvoir tomber que par un long siège en bonne et due forme.