Premier Chapitre
Je suis né au début des années -60, dans un petit village de Gironde où les vignes, les prés et les bois faisaient bon ménage pour agrémenter le paysage.A cette époque, les femmes accouchaient, le plus souvent, à la maison.
Le hameau où j’ai poussé mes premiers cris était composé de deux maisons, plus communément nommés, chez nous, « feux ».
Celle de derrière était la maison de famille de mon ascendance paternelle. Devant, vingt mètres plus loin environ, se situait la maison d’en face où a vu le jour ma grand-mère paternelle.
Vous commencez à comprendre, je suppose. Mon grand-père et ma grand-mère étaient voisins. Ils étaient, chacun enfant unique. Cela facilitait bien les choses. Ces jeunes gens se sont-ils vraiment aimés ? Je ne vous le confirmerai pas, n’en ayant pas la moindre idée.
L’occasion était trop belle pour réunir deux exploitations moyennes et donner la possibilité de se mesurer avec les gros paysans du pays.
Quand on était un petit agriculteur, on ne vous considérait guère. La première parcelle à vendre était toujours proposée au gros propriétaire du coin ; si bien que les plus petits trouvaient difficilement possibilité de s’agrandir.
En ces temps-là, la famille était unie, si bien que grands-parents, parents et enfants vivaient ensemble.
Après son mariage ma grand-mère a rejoint le logis de sa belle-famille et laissé ses parents seuls. Les filles n’étaient que personnes négligeables et n’avaient pas le choix. Les couples qui devaient se contenter d’héritiers féminins pouvaient être soucieux pour leurs vieux jours.
En la circonstance, le problème était moindre puisque ma grand-mère n’habitait qu’à quelques pas de ses parents.
Je n’ai pas connu mes bisaïeuls. Ils sont décédés avant ou pendant la dernière guerre, usés par les longues années de labeur, sans se plaindre ; presque d’un coup.
J’ai vécu la première partie de mon enfance avec mes grands-parents. On parlait tout juste de retraite et il fallait avoir soixante-cinq ans. Mon grand-père a toujours refusé de cotiser. Une loi a officialisé et imposé le paiement des prestations sociales. Comme dernier pied de nez, grand-père est décédé avant l’âge légal de la retraite. J’avais à peine huit ans.
Mon père Marcel s’est retrouvé à la tête de l’exploitation, mais il dut composer avec son frère Robert de six ans son cadet. Leurs parents n’avaient sans doute pas prévu, à mon père, un frère qui allait tailler en deux le patrimoine mais la contraception n’existait pas.
L’enterrement de mon grand-père à peine célébré, un repas avait réuni la famille, mon père, ma mère, mon oncle et ma tante Cécile « Il va falloir s’occuper des partages. - Des partages ? Rien ne presse, que je sache, fit remarquer Robert. -C’est toi qui le dis, ça ne se passe pas comme tu crois, c’est la loi. -Elle n’a qu’à attendre la loi. -Je ne peux pas exploiter ce qui ne m’appartiendra pas, tu comprends ? -Qu’est-ce que tu veux ? -Moi, je ne veux rien de particulier. Je tiens à savoir ce que tu comptes faire de ta part.
-Ma part ? Qu’est-ce que j’en ferai de ma part ? Tu gardes tout, je ne te demande rien. Pour ce qui est rentable dans ce diable de métier. -Je vais bien être obligé de te payer ta part et je n’ai pas un sou de côté. -T’affole pas. » Bien sûr, j’étais jeune à cette époque et je ne peux vous retranscrire que ce que je me souviens. Oncle Robert était le contraire de mon père. Papa n’avait jamais été bon élève et son père l’avait rassuré en lui affirmant qu’il n’y avait pas besoin d’être bachelier pour travailler la terre. Robert apprenait comme un livre et ses études terminées – un simple BEPC qui avait de la valeur quand il l’a passé- il s’était présenté à un concours à la SNCF. Depuis il travaillait dans la région parisienne- Paris puis la banlieue-. Il avait connu sa femme là-bas, ils s’étaient mariés puis avaient fait bâtir chez les parents de Cécile. Robert était devenu un Francilien d’adoption et se trouvait bien. Il venait passer ses vacances chez nous avec sa femme et ses enfants, deux garçons Yves et Paul et une fille Virginie.
Mon oncle ne rechignait pas à donner un coup de main dans les champs ou à l’étable, et était comme il disait un paysan du dimanche. C’était toujours un moment de bonheur quand mes cousins venaient, pour moi le fils unique. Yves, l’aîné, a deux ans de moins que moi. Virginie la petite dernière est de six ans ma cadette. La pauvrette a souvent été notre souffre-douleur dans notre enfance ; pouvions-nous être bêtes Mon père a réglé les problèmes de succession avec son frère contre une somme d’argent, relativement faible d’après ce que j’ai compris ; et la maison d’en face. Je me souviens ces quelques mots avant la signature des actes, à table, chez nous. « Tu gardes la maison d’en face. Quand tu viendras en vacances tu auras un pied à terre. - Pourquoi ? Tu veux plus me recevoir ? Si je ne viens pas te voir, qu’ai-je à faire ici ? - Je dis cela comme je dirais autre chose. Tu sais bien que tu es le bien venu à la maison. - Et bien pas besoin de pied à terre. - Tu ne sais point si tes enfants ne seront pas contents de venir un jour, ou même, tes petits-enfants. Leurs origines sont ici pour eux aussi. - Allez ! Ne chipotons pas pour cette maison. Si tu le désires tant, je suis d’accord. Après tout, nous verrons bien. » Tonton Robert a toujours été un homme de bon sentiment, prêt à s’adapter, un brave type que j’adore. Je viens de vous exposer là, le bon côté ; mais aux vacances suivantes, Robert ne voyait plus les choses de la même façon. Il avait dû assurer la maison, payer les impôts. C’en était trop pour lui et il le fit bien entendre à son frère. « Qu’est-ce que tu m’as fait avaler, frangin, avec cette maison ? - Qu’est ce qui ne va pas ? - Ce n’est pas un cadeau, une baraque qui ne me sert à rien et qui me coûte de l’argent, je n’en veux plus. Tu la reprends ou je la vends. - Tu es fou, tu ne vas pas me vendre cette maison, mais ça fait encore des sous et je ne suis pas plus riche qu’avant. - Qui te parle de fric, tu la reprends, c’est tout ce que je te demande - Elle a une valeur cette maison, les transactions ne se font pas de cette manière. - Tu te débrouilles avec le notaire ; mets le prix qui te plait. Je ne te demande rien. » Quelques temps plus tard, les frères ont signé l’acte de vente pour une somme dérisoire. Mon père était satisfait et nous l’a fait savoir. « Ce pauvre Robert, il n’entend rien en affaires. Vous allez voir comme je vais la faire fructifier cette maison. On va la retaper un peu pour y donner meilleure mine et on la louera. Je vois bien une famille nombreuse ; avec les allocations familiales, je suis sûr d’être payé.
-Robert, il ne veut pas s’embêter, c’est tout.
-Ma pauvre femme, s’il gagne assez avec son travail, nous, on a besoin de tout. Un peu plus ne nuira pas. »
Aussitôt dit, mon père s’est mis à l’ouvrage, moins de six mois plus tard, un couple et sa petite famille composée de sept enfants aménageait.
Ce qui semblait une bonne affaire, par la suite, fut encombrée de multiples désenchantements. Premièrement mon père reçut un relèvement fiscal sur l’évaluation de la maison. Il fila demander des explications chez le percepteur qui lui signifia que la maison qu’il avait achetée, valait beaucoup plus que le prix déclarer.
-Monsieur, je ne peux vous contredire, vous avez peut-être payé ces prix-là mais la fiscalité doit être établie sur la véritable valeur de l’immeuble et non sur l’évaluation que vous prétendez. »
Mon père a dû payer sans délai pardessus le marché. Comme une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule, ses locataires ne l’ont jamais payé. Il lui a fallu pas mal de temps pour se débarrasser de ces malotrus qui, lorsqu’ils sont partis ont omis de remettre les clés du propriétaire.
Mon père est allé faire ses doléances au maire de la commune, son ami Félicien qui lui a assuré :
« Tu ne peux pas forcer la porte pour entrer.
-Mais je suis chez moi.
-Tu n’es pas chez toi, ils sont locataires, donc chez eux puisqu’ils ne t’ont pas signifié de rupture de contrat.
-Ils n’ont jamais payé.
-Il faut le faire reconnaître.
-Je vais devoir payer encore et pour rien.
-C’est la loi. Ou alors tu attends et tu cherches à te renseigner pour savoir s’ils ont un autre appartement. Il faut quand même faire attention Tu veux la relouer ta maison ?
-Ah non ! Jamais Elle ne restera vide. Au moins je serai tranquille. «
Quelques temps plus tard, la patience ayant des limites, mon père monta sur le toit, enleva quelques tuiles, arracha trois ou quatre planches et se faufila dans le grenier. De là, il put descendre au rez-de-chaussée.
De l’intérieur, toutes les portes s’ouvrent et c’est ce qu’il fit. A la lumière du jour, il put constater l’étendue des dégâts : ampoules emportées, peintures souillées, portes cassées et encore … Et encore !
Imaginez la colère de mon père.
-C’est très bien comme ça ; puisque personne ne veut respecter cette pauvre maison, paix à ma mère, elle restera telle qu’elle est.
Beaucoup de mois, quelques années passèrent et la maison dut se contenter d’un banal entretien de toiture pour éviter les gouttières.