Premier Chapitre
— Chapitre 1 —L’éveil
C’est un parfum qui me réveilla. Celui de Miss O’Neill, la jeune infirmière qui était arrivée récemment dans le service. Elle sentait bon. Elle respirait la santé, l’élégance, et la fraîcheur. Je ne comprenais pas comment cette rousse gironde, qui avait refusé mes avances, pouvait se tenir aussi près. Je devais être mort, ou en train de rêver. Peut-être n’était-ce pas elle ? Peut-être me méprenais-je ? Péniblement, j’ouvris les yeux, intrigué par ce mystère. Et au fur et à mesure que mes paupières se levaient, me révélant lentement l’origine de la fragrance érotique qui avait réactivé mon cerveau, je pus découvrir que je ne m’étais pas trompé. Elle était là, s’affairant à redresser mon lit, tâtant mon coussin pour qu’il soit plus ferme. Je pouvais sentir sa peau à quelques millimètres de la mienne, je pouvais humer son eau de Cologne si particulière, qui s’engouffrait dans mes narines à chacun de ses mouvements. Je pouvais l’entendre respirer, je pouvais percevoir le souffle qui s’échappait de sa bouche charnue et qui venait réchauffer mon front. Je ne savais combien de temps j’avais été endormi, mais ce retour à la vie était des plus agréable, et j’aurais accepté de perdre connaissance mille fois encore, si j’avais eu l’assurance de connaître un réveil, chaque fois aussi doux.
Tout à coup, elle recula, certainement pour s’assurer de la position qu’elle avait fait prendre à son patient assoupi. Ayant peur qu’elle ne quitte la pièce, je fermai aussitôt les yeux, afin qu’elle ne s’effraie pas de me voir soudain éveillé. Sans doute devina-t-elle la supercherie, car elle dirigea son regard vers moi. Je pouvais deviner qu’elle m’observait, qu’elle tentait de deviner quelque chose. J’avais peur d’être percé à jour, tétanisé par le visage, pourtant angélique, qui me fixait. Certes, j’étais médecin, et j’étais son patron, mais elle m’intimidait. Elle m’avait intimidé dès son arrivée. Elle était pourtant issue d’une famille de pêcheurs, débarquant tout juste d’un petit village, là-bas, à l’ouest de l’Irlande, d’où elle n’était certainement jamais sortie. C’était une fille de la campagne, modeste, inexpérimentée, que j’aurais pu ignorer, et même mépriser, sans que personne ne s’en émeuve. Mais elle avait en elle une autorité naturelle, une personnalité forte et imposante, qui me fascinait, et que je n’avais jamais vue chez les femmes de ce siècle. Et alors qu’elle s’approchait à nouveau, reprenant machinalement sa tâche, je jouais avec délice le bel endormi, pour profiter encore un moment de cet instant hors du temps, où je me trouvais seul avec l’objet de mes fantasmes.
Dans quelques secondes je m’éveillerais aux yeux du monde, et le charme serait rompu. Dans quelques secondes, tout le personnel accourrait dans ma chambre, soulagé de voir que le Dr Andrew Meredith était vivant, et je n’aurais plus jamais Alice O’Neill pour moi tout seul. J’étirai, le plus qu’il m’était possible, cet instant de flirt clandestin, puis lorsqu’elle fut sur le point de disparaître, parvenue sur le seuil de la pièce, je me décidai à me manifester, espérant qu’elle ne m’en voudrait pas trop de lui avoir joué ce vilain tour. Je me préparais à agir avec panache, m’imaginant prononcer une phrase mémorable, comme si j’étais le héros d’un roman, mais à ma grande surprise je ne pus formuler aucun mot, et il ne sortit de ma bouche qu’un râle primitif et peu flatteur. Je réalisai alors que j’étais très affaibli, et que j’aurais été bien incapable de jouer les Dom Juan, même si Alice m’avait avoué qu’elle me désirait ardemment et qu’elle avait toujours brûlé d’amour pour moi.
Dès qu’elle m’entendit geindre, la jeune femme se rua vers la salle de garde et hurla, comme si elle venait de voir un revenant. Au vu de cette réaction excessive je compris que je devais être dans le coma depuis bien longtemps. En y réfléchissant, je ne me souvenais pas, d’ailleurs, de ce qui m’était arrivé. Avais-je eu un accident ? Avais-je été malade ? Quelqu’un m’avait-il voulu du mal ? J’avais beau me creuser la tête, tandis que j’entendais une horde accourir dans le couloir, je ne parvenais pas à me rappeler ce qui m’avait amené à me trouver dans cette délicate situation. Je savais pourtant des choses. Je savais que j’étais le docteur Andrew Meredith, que j’avais trente-cinq ans, que j’officiais comme chirurgien ici, à l’hôpital de Londres, et que j’habitais une jolie maison, dans le quartier de Holborn, au 9 Bedford Row. Avais-je une femme ? Je n’eus pas le temps de répondre à cette dernière interrogation, car un groupe d’hommes élégants et de femmes en uniforme apparut devant moi, les mines à la fois sidérées et réjouies. Je tentai d’identifier les différents visages qui se présentaient, espérant démêler le mystère de cette étrange aventure.
Il y avait un monsieur d’une cinquantaine d’années, peut-être plus, qui m’était très familier. Il me le semblait, en tout cas. Je reconnaissais son costume sombre très soigné, sa démarche, sa voix, ses sourcils broussailleux, et les rouflaquettes généreuses qu’il arborait fièrement. À ses côtés se tenait Mrs Chapman, l’infirmière en chef. Je ne savais pourquoi son nom m’était revenu immédiatement, ni pourquoi j’étais certain que c’était l’infirmière en chef, mais je n’avais aucun doute sur cette chose. Je me la figurais dans plusieurs endroits de l’hôpital, me remémorant des images d’elle dans les dortoirs, au chevet des malades, dans un bureau, ou un immense réfectoire. C’était la seule personne du groupe qui ne souriait pas. Elle ne m’avait, d’ailleurs, jamais souri. C’était une femme très sévère, avec laquelle je n’avais pas de bonnes relations. L’air austère qu’elle m’offrait, m’indiquait qu’elle ne comptait pas améliorer nos rapports sous prétexte que j’avais frôlé la mort. Il y avait également un infirmier, dont le souvenir m’était très vague, mis à part, peut-être sa chevelure soignée à la brillantine, à l’aide de laquelle il s’était peigné d’une raie parfaite au milieu du crâne, chose peu adaptée aux tâches salissantes quotidiennes qui lui incombaient. En examinant la structure de sa coiffure coquette, je me souvins que cela m’avait toujours frappé. Enfin, parmi tous ces étrangers, se trouvait celle qui m’avait ramené à la vie, Alice O’Neill, campée devant la porte de ma chambre, qui n’osait plus entrer, certainement épouvantée par l’épisode qu’elle venait de vivre. Heureusement, elle avait laissé dans l’air, près de moi, le parfum de sa toilette raffinée, et je reniflais discrètement ses effluves, tandis que l’homme aux rouflaquettes s’apprêtait à m’interroger.
— Andrew ! s’exclama-t-il. Heureux de te voir de retour parmi nous.
Je voulus lui répondre que tout allait bien, mais encore une fois, seul un grondement s’échappa de ma bouche asséchée par des jours d’inconscience. Pensant qu’il n’était jamais trop tôt pour entamer sa rééducation, et ne m’avouant pas encore vaincu, je réitérai ma tentative.
— Je… Je… articulai-je péniblement.
— Non, ne dis rien ! intervint-il, en levant la main pour m’interrompre. Nous avons le temps. Réponds juste par oui ou par non.
Je dodelinai de la tête, lui signifiant que j’avais compris sa demande.
— Te souviens-tu de ce qui t’est arrivé ?
Je réfléchis un instant, espérant retrouver la mémoire, mais plus je cherchais dans mes souvenirs, plus les choses s’embrouillaient. Mes yeux allaient frénétiquement de droite à gauche, trahissant la panique qui s’emparait lentement de moi.
— Je… Je…
Voyant mon inquiétude, l’homme vint à mon secours.
— Ne t’en fais pas, cela va revenir. L’essentiel est que tu sois sorti de ce cauchemar. Comme tu le vois, je t’ai installé dans une ravissante petite chambre séparée, rien que pour toi, dans mon service. Je n’allais pas jeter mon illustre confrère dans une salle commune au milieu de ses patients, ils auraient pu se poser quelques questions sur la qualité de la médecine exercée dans cet hôpital. Tu vas te reposer, prendre le temps qu’il faut, nous parlerons de tout cela lorsque tu auras repris des forces. Je vais laisser quelqu’un à ton chevet, pour m’assurer que tout se passe bien. Miss O’Neill ? Vous vous chargez de cela ?
La jeune infirmière jeta un coup d’œil vers moi, et je lui souris instantanément, malgré une douleur tétanisant dans tous les muscles de mon visage. Je ne savais si mon ami le docteur connaissait mes sentiments pour l’aimable jeune femme, ou si ce choix devait tout au hasard, mais je me réjouissais de la perspective, décidé à me remettre rapidement des séquelles de l’accident dont je ne parvenais pas à me remémorer. Étrangement, elle ne répondit pas à mon témoignage, qui devait davantage ressembler à une grimace, qu’à une invitation à un rendez-vous galant. Son expression resta presque impassible, ne laissant entrevoir qu’un léger pincement aux lèvres bien énigmatique. Je ne parvenais pas à interpréter ce regard circonspect qu’elle m’offrait. Peut-être même, allait-elle refuser la mission qu’on venait de lui confier, considérant qu’elle avait autre chose à faire que de veiller un impotent qui n’avait même pas la capacité de parler ? Malgré tout, je m’accrochais à cette perspective, la suppliant du regard d’accepter cette tâche ingrate. Les quelques secondes d’attente pendant lesquelles j’appréhendais son verdict furent un véritable supplice.
— Bien, Docteur Scott, finit-elle par concéder.
Le nom résonna dans toute ma tête.
Bien sûr ! Docteur Scott, pensai-je ! Voilà le nom du monsieur aux rouflaquettes ! Docteur Alan Scott !
Sans le savoir, Alice venait de résoudre une question qui me taraudait depuis que ce médecin, qui me parlait comme un ami, s’était planté devant moi. L’avenir s’éclaircissait, et il semblait que je commençais à retrouver mes marques. Fort de cette situation encourageante, je me décidai à prendre de nouveau la parole, espérant impressionner mes collègues, et plus précisément, je l’avoue, Alice, par la rapidité de mes progrès. Comme un chanteur d’opéra entrant en scène, je me concentrai, et je regardai mon publique.
— Merci ! dis-je, enfin, dans la souffrance.
De toute évidence la chose restait douloureuse, et ma difficulté à m’exprimer entravait la volonté que j’avais d’en apprendre davantage. J’avais mille questions qui se bousculaient dans ma tête. Des images me parvenaient, puis étaient chassées par d’autres. Je voulais retracer le fil des évènements, comprendre la suite d’infortunes qui m’avaient conduit à me trouver dans cette chambre, à la place de mes malades. Mais je devais commencer par le début. Je devais d’abord prendre mes repères, m’assurer que je n’avais pas passé cent ans sur ce lit. À quoi ressemblais-je ? Quelle année étions-nous ? Avais-je toujours trente-cinq ans, comme j’en étais persuadé il y avait encore quelques minutes ? À voir les efforts colossaux qu’il me fallait déployer pour me mouvoir, remuer un doigt, ou prononcer un seul mot, il m’était permis d’en douter. Je ne comptais pas attendre d’avoir retrouvé toutes mes facultés pour obtenir des réponses à mes interrogations. Comment pouvais-je communiquer avec l’extérieur ? Comment pouvais-je avoir l’attention de ces gens, avant qu’ils ne quittent la chambre et repartent à leurs activités diverses ?
Au moment où le petit groupe s’apprêtait à partir, j’eus une illumination. Peut-être pouvais-je écrire ? Car je savais écrire, je n’en doutais pas. J’étais médecin, j’avais certainement fait des études. Avant de réclamer quoi que ce soit, je voulus m’en assurer, ne voulant pas décevoir mon auditoire une fois qu’une feuille de papier m’aurait été donnée. J’allai chercher dans mes souvenirs, balayant diverses images associant ma main à un crayon ou un stylo à plume. Rapidement, je parvins à former des lettres dans mon esprit, puis des mots, et enfin des phrases. Après réflexion, il aurait été surprenant qu’un chirurgien de l’hôpital de Londres se trouvât être un analphabète, et immédiatement, je me dis que j’aurais pu m’épargner la peine de vérifier cette évidence. Rassuré, je fis signe au Docteur Alan Scott que je désirais avoir de quoi noter, parvenant à me faire comprendre en remuant maladroitement mes bras.
Dès que je formulai ma requête, le groupe de visiteurs se mit en branle, excité par le défi que je proposais. On discuta, on disserta, on tentait de se répartir les rôles et les tâches, dans une atmosphère de gravité, comme si l’équipe médicale était sur le point de faire l’une des plus grandes découvertes du siècle. Après un moment à gigoter, un peu inutilement, ils parvinrent à se calmer et missionnèrent quelqu’un. Et tandis qu’on allait chercher un papier et une mine, ils se turent, s’immobilisèrent, m’observant dans un silence religieux, intrigué par la teneur qu’auraient mes premiers mots. Ils me dévisageaient tous, l’air curieux, comme si j’étais le cobaye d’une quelconque expérience. Je ressentis pour la première fois la gêne et le malaise que devaient éprouver les patients lorsqu’ils étaient livrés, comme des objets d’étude, aux examens froids et déshumanisés d’une équipe médicale. Je pensais à Joseph Merrick, que mon confrère Frederick Treves nous avait présenté quelques années auparavant et que tout le monde surnommait « Elephant man ». Le pauvre homme, désormais hébergé dans l’enceinte de l’hôpital, souffrait d’une difformité extrême de l’ensemble du corps, et avait été scruté par tous ce que Londres, voire l’Angleterre, comptait de médecins. Il avait dû exhiber ses infirmités à des étrangers, certains malveillants, d’autres prétendant agir pour son bien, mais qui ne s’étaient jamais souciés de savoir ce qu’il pouvait ressentir. Je n’avais pas l’apparence monstrueuse de Merrick — pas la dernière fois que je m’étais croisé dans un miroir, en tout cas — mais j’imaginais très bien le cauchemar que devait être son existence, moi qui voulais fuir tous ces regards, alors qu’ils n’étaient braqués sur moi que depuis cinq minutes.
Enfin, après une éternité, l’étudiante dépêchée revint avec du matériel. Elle me releva légèrement, en plaçant un petit carnet devant moi. Lorsque cette jeune « Margaret », que je voyais pour la première fois, mit un crayon dans ma paume, je changeai machinalement de main, et commençai à gribouiller. Tout en noircissant la page, je réalisai que j’étais gaucher. Malgré ma détermination, je ne pus griffonner que quatre mots, la main tremblante, la douleur parcourant mon bras du poignet jusqu’à l’épaule. Il me fallut plus d’une minute pour mener à bien ce projet pourtant peu ambitieux, et achever de former des lettres qui soient lisibles.
Quel jour sommes-nous ? étais-je simplement parvenu à écrire, avec la plus grande difficulté.
Margaret prit le carnet afin de l’apporter à Scott, mais il lui échappa des mains, et elle dut s’accroupir pour le ramasser. Le reste du groupe pouffa, comme s’ils étaient des gamins dans une cour d’école. Bien qu’à moitié encore inconscient, je trouvai leur attitude puérile. Mais les raisons de cette immaturité collective me furent rapidement expliquées
— Pardonne-la, Andrew, intervint mon ami « Alan », notre nouvelle recrue est très impressionnée. C’est l’une de ces jeunes filles un peu folles qui s’est mis en tête de devenir médecin. Elle a fait une requête spécifique pour travailler dans le service du docteur Meredith, et il semble qu’en ta présence elle perde tous ses moyens.
La pauvre fille récupéra le carnet à terre, et me sourit en exécutant une espèce de révérence maladroite, comme si j’étais le roi de quelque chose.
— C’est un honneur de vous rencontrer Monsieur Mered… Pardon, « Professeur » Meredith, bégaya-t-elle. J’ai lu tous vos travaux sur l’immunologie et la bactériologie, j’étudie actuellement à la London School of Medicine for Women, je serai bientôt docteur, tout comme vous. J’aimerais suivre les traces d’Elisabeth Blackwell, elle a prouvé que les femmes pouvaient exercer aussi bien que les hommes…
Le Dr Scott la coupa.
— Lady Margaret ! Je ne suis pas certain que ce soit le moment idéal pour jouer les Emilia Davies, et ennuyer notre ami avec vos pétitions féministes. Vous voyez bien que Andrew est très faible et encore confus.
— Bien sûr, bien sûr, Docteur, pardon, s’excusa l’étudiante, plus révérencieuse encore.
En apportant le carnet, elle manqua de trébucher une seconde fois. Je n’avais pas le souvenir d’être quelqu’un d’aussi impressionnant. Je réfléchis un moment à ces histoires de travaux en immunologie, mais la chose m’apparut vague. Je me demandais si la timide jeune femme ne me confondait pas avec un autre, et si je méritais bien toute cette déférence. D’autant qu’il m’avait semblé entendre Alan l’appeler Lady, ce qui laissait à penser qu’elle était issue d’une très noble famille. Je ne comprenais pas ce qui me valait les honneurs de cette inconnue éminente, mais il était indéniable que j’étais un homme respecté, ce qui me rassurait. Il m’aurait été certainement moins agréable de me réveiller pour me voir expliquer que j’étais un voleur, un assassin, ou un quelconque être peu fréquentable avec l’absence duquel l’humanité ne se serait que mieux portée.
— Nous sommes le 2 décembre 1888, mon cher Andrew, m’annonça Alan, répondant enfin à l’interrogation de mon billet. Cela fait trois semaines que tu es dans cette chambre. Nous avons eu très peur !
Je me tournai, une fois encore, vers la belle Miss O’Neill, lui souriant comme un mourant entouré par sa famille, espérant l’attendrir, en appelant à sa vocation de vouloir aider ses semblables. Mais elle ne m’offrit pour toute réponse que ce rictus indéfinissable, qu’elle garda jusqu’à son départ, me laissant dans le questionnement et l’expectative. Et alors que tout le monde avait pris congé, m’abandonnant seul dans ma chambre avec mes interrogations, je me demandais toujours ce qu’Alice pensait de moi, priorité bien étrange au vu de l’état dans lequel je me trouvais, et qui indiquait, à l’évidence, que j’avais frôlé le pire. Peut-être était-ce un instinct de survie ? Sans doute préfère-t-on s’attarder sur les choses futiles lorsque l’heure est grave, pour se persuader qu’il n’y a rien de sérieux, que la vie a repris son cours. Ou peut-être est-ce cela être vivant, goûter les complications simples de l’existence, s’amuser de ses petits péchés véniels, des préoccupations légères, de ce qu’offre la possibilité d’être un mortel, tant que la mort ne nous a pas rattrapés ?
Était-ce toutes ces questions philosophiques, ou les conséquences de mes semaines passées dans le coma, mais je finis par ressentir une fatigue immense, démultipliée par les douleurs qui parcouraient mon corps, des pieds jusqu’à la tête. Mon cerveau bourdonnait, je voyais des éclairs éblouir mes yeux restés si longtemps fermés. Lentement, difficilement, je m’allongeai à nouveau, pressé de reposer cette carcasse qui avait déjà bien trop travaillé en quelques heures, voulant lui offrir un instant de répit, et lui laisser le temps de se remettre totalement de ses traumatismes. C’est avec un peu d’appréhension que j’entamai la première soirée de ma nouvelle vie. J’ignorais si j’allais passer la nuit, ou si le temps qui venait de m’être accordé n’était qu’un sursaut avant de plonger dans les ténèbres pour toujours. Et si je ne me réveillais plus jamais ?