Premier Chapitre
Partie IChapitre 1
Fin juillet 1805.
Arrivé près du Pont Neuf, Martin aperçoit Bouche-trou assis par terre en tailleur et faisant la manche. Il fait son pitoyable spectacle en mettant un œuf de pigeon dans la cavité de son crâne, laissée par un œil crevé et attend que des badauds passent, généralement une mère avec ses enfants, et lorsque ces derniers se trouvent à sa hauteur, avec une contorsion des muscles de son visage dont lui seul a le secret, Bouche-trou fait éclater son œuf accompagné d’un hurlement qui donne plus de force et de relief à cette parodie de monstruosité d’un œil qui se crève en direct. Martin attend que le pont soit à peu près désert et arrive discrètement à la hauteur de l’infirme qui ne le voit pas, trop occupé à essuyer son visage d’un revers de manche. Martin saisit le bras de Bouche-trou, le relève pour ensuite retourner son membre derrière son dos. Martin se glisse également dans le dos de l’infirme et continue de lui tordre le bras tout en s’approchant de son oreille.
— Tu vas rester bien tranquille et tout se passera bien. Tu m’as compris ?
Martin tord un peu plus le bras de Bouche-trou et ce dernier fait une grimace pour signifier qu’il a bien compris.
— Dis-moi, hier un voleur a passé la journée à détrousser des paroissiens dans Notre-Dame, c’était toi ?
— Non, ce n’est pas moi monsieur, répond Bouche-trou en grimaçant de douleur.
— Et qu’est-ce qui me le prouve ?
— Hier, je n’étais pas à Paris.
— Ah oui, et tu étais où ?
— À la campagne avec des amis.
— Et dans tes amis, il n’y en a pas un qui se nomme l’Animal ?
Bouche-trou est très surpris et ne répond rien.
— Ça te dirait de rester en vie ? Alors, dis-moi vite où je peux trouver ton ami !
Martin casse le bras de l’infirme et se dépêche de saisir l’autre. Bouche-trou pousse un cri, mais déjà Martin réitère sa torture.
— Gueule encore et je te casse le deuxième bras avant de te jeter dans la Seine. Je suis sûr que tu nageras comme un poisson. Alors, pour la dernière fois, où je peux trouver l’Animal ?
— Il traîne le soir dans l’hôtel des camelots.
— C’est où ça ?
— Derrière l’hôtel-Dieu.
Martin tord un peu plus le bras de l’infirme.
— Tu sais que si tu me racontes des histoires, je saurai te retrouver.
— Non, c’est la vérité. D’ailleurs l’Animal va me tuer s’il apprend que c’est moi qui l’ai balancé.
— Aucun risque qu’il ne le fasse, car c’est moi qui vais m’en charger.
Martin casse le deuxième bras de l’assassin, puis d’un coup de pied, casse un de ses genoux et balance l’homme par-dessus la rambarde qui finit dans la Seine. Un cri furtif laisse rapidement place à un bruit d’éclaboussure. Bouche-trou a juste le temps de grimacer une dernière fois et coule à pic. Martin ne regarde pas l’infirme se noyer et préfère s’assurer qu’il n’a pas été vu. Ce qui est le cas.