Note globale : 10/10
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Gabrielle, illustratrice de 28 ans rentre par hasard dans la galerie « Aux Têtes de l’Art » que dirige Raphaël, artiste peintre, nouvellement installé à Saint-Jean-de-Luz. Ils tombent immédiatement sous le charme l’un de l’autre. Mais Raphaël a presque vingt ans de plus que Gabrielle et les amis de cette dernière essaient de lui ouvrir les yeux sur cette relation hors normes, pour ne pas dire la détourner de lui. Une relation amoureuse s’installe entre eux aux accents mi-paternels, mi-artistiques, Gabrielle étant à la fois la muse et le « bébé » de Raphaël (il l’appelle « mon bébé » dans le roman). L’univers dans lequel évolue Raphaël est à des lieues de celui de Gabrielle même si leurs métiers les rapprochent. Amis et famille à l’esprit bourgeois et étriqué renforcent cette différence et viennent en opposition. Gabrielle, plus terre à terre, est en butte au mystère qui enveloppe Raphaël et à l’aura incroyable qu’il dégage. En fait, Raphaël, marqué par un évènement douloureux et s’est retranché, afin de donner un sens à sa vie, dans l’univers de la peinture, celle-ci nourrissant et canalisant sa passion effrénée pour la beauté avec un grand B.
Appréciation générale
En une phrase : Roman d’amour atypique, peinture de mœurs à la Flaubert de notre XXIème siècle voguant entre le réalisme d’un repas dominical en famille et l’enseigne surréaliste d’une galerie d’art. Peinture au pinceau et peinture au cutter de deux mondes qui s’opposent, celui de la bourgeoisie bien établie et bien-pensante et celui de l’artiste, qui, loin d’être de la bohême impécunieuse que l’on ne peut plus lui reprocher, dérange par son avènement, sa réussite via des chemins non convenus, ses choix de vie, ses idées hors normes. Les deux protagonistes n’auraient jamais dû se rencontrer. L’artiste fait peur, peur aux amis et le ferait sans doute à la famille, car il est leur double négatif. Ce double qui a pu attirer, un jour, leur attention, qu’ils ont peut-être brûlé de croiser mais que, bien installés dans leur petite vie, ils regardent maintenant du « regard oblique des passants honnêtes ». Le roman est proche de la caricature jusque dans les prénoms de Raphaël, l’artiste et Gabrielle, l’ange, où le notaire de Madame Bovary devient agent immobilier, le pharmacien se fait sage-femme (pour ne pas dire sage-homme, note d’humour quasi surréaliste), les amis eux, débordant d’amour et d’attention bien qu’un peu bornés. Quant au curé, XXIème siècle oblige, il a disparu du moins en apparence et dans sa forme habituelle, remplacé qu’il est par un prêcheur d’un tout autre style, l’Artiste qui prône l’accession au bonheur terrestre avant celui de la vie éternelle. Et ce prêcheur-là n’aurait sans doute pas sa place à la table de l’agent immobilier et du sage-homme à l’esprit tout aussi étriqué que l’était celui de leurs grands-pères, le notaire et le pharmacien de Gustave Flaubert. L’artiste est le héros avec un grand H, le vrai, l’immortel ou presque. Et Raphaël l’est devenu, immortel, sur cette montagne de la Réunion qu’il a gravie comme on monte vers l’Olympe. Il y a assisté à la mort de sa femme et de son fils, tombés dans le vide. Terrassé par l’inconcevable, son cœur s’est arrêté. Il est mort et ce n’est pas le même qui a ressuscité. Il y a encore là, une allusion à la religion chrétienne. On serait tenté de ne voir que l’épicurien qu’il est devenu et qui fait de Carpe diem sa devise. Mais il y a beaucoup plus que cela. Raphaël a ressuscité non pas pour sauver son prochain mais pour l’arracher à la vie médiocre à laquelle il est condamné, pour qu’il brise le carcan qui l’empêche d’être lui-même et de vivre pleinement. Il va incarner le dieu de la Vie, cherchant, démultipliant le plaisir, magnifiant le beau tout en bannissant la souffrance. L’amour du beau, de la vie, des plaisirs vont le transcender, le purifier, et il va chercher à entraîner l’autre sur le chemin de cette purification et de cette rédemption qui est la sienne. Il va croiser celui de Gabrielle, l’ange. Entre Alice au Pays des merveilles et le Petit Chaperon rouge, elle est un hybride ou une mutante dans ce monde petit bourgeois étriqué. Seuls ses amis semblent sincères bien qu’un peu bornés, façonnés qu’ils sont par leur éducation normée. Gabrielle jette non seulement un œil sur le bas-côté de la route mais elle se laisse entraîner par Raphaël hors des chemins balisés. Mais son parcours est rude au côté du dieu-artiste, mu par la sombre force de son malheur et ses choix éthiques qui le rendent impitoyable et sans concession. Gabrielle est pour lui la beauté incarnée, sa muse à la plastique parfaite et il va la vouloir toujours plus belle. Il la pousse à reprendre la danse, voie qui doit la sublimer plutôt que de choisir celle de mère de famille qui ne ferait que la diminuer, la faire souffrir et l’enlaidir. S’il ne veut pas construire sa vie avec elle, ce n’est pas uniquement par peur de revivre son passé. Il veut la garder dans toute sa beauté, telle une œuvre d’art, une icône qu’il pourra contempler à loisir. Au premier degré, le roman peut passer pour une banale histoire d’amour mais si l’on sait lire entre les lignes, on en découvre un second, sur l’amour avec un grand A et la problématique de la douleur dans une vie, avec son cortège de bouleversements mais aussi la grandeur d’âme qu’elle permet d’atteindre.
Ce que j'ai particulièrement apprécié : L’univers artistique est très bien rendu, notamment dans la description de la galerie d’art, à la fois envoûtante et mystérieuse, qui s’accorde à merveille avec le caractère de son propriétaire, Raphaël. La métaphore est utilisée tout au long du roman dans la peinture des univers traversés, des émotions et des sentiments des protagonistes, donnant aux uns et autres plus de relief et une résonnance presque surréaliste. Elle apparaît jusque dans le choix des prénoms des héros qui n’est pas anodin. Raphaël est l’artiste par excellence, Gabrielle est l’ange, surgi dans sa vie pour le sauver.
Autres commentaires
Style littéraire : Style fluide, dépouillé, quelquefois cru, un peu à la manière de celui du Nouveau Roman ce qui ne l’empêche pas d’être plein de poésie et riche en métaphores (Gabrielle est comme Alice au Pays des merveilles dans le palace parisien, Le Petit Chaperon rouge dans les méandres de la galerie où le mystérieux Raphaël peut passer pour le loup, Gabrielle qui a fait de la danse, adore le ballet Le Lac des Cygnes et porte étrangement un jupon façon tutu, le jour où elle tente de se noyer). Le style du roman révèle aussi qu’il n’y a pas qu’un seul niveau de lecture mais bien deux.
Mon sentiment sur le titre du livre : Très bien trouvé Le gâteau basque est un peu un fil rouge. Il incarne la ville de Saint-Jean-de-Luz, l’enfance de l’héroïne, son lien avec sa famille (repas dominical qui se termine invariablement par un gâteau basque), exprime à un moment de l’histoire l’humeur de l’héroïne selon le choix du parfum (doux comme de l’amande, noir comme de la cerise, puissant comme du chocolat). Et la métaphore y est encore présente.
Ce que je pense des personnages : Héros de l’histoire d’amour, ils peuvent paraître banals au premier degré mais deviennent de véritables symboles au second, Raphaël, l’artiste malmené par la vie, devient Epicure. Quant à Gabrielle de petite fille bien sage, elle devient à la fois le disciple du dieu rédempteur et sa muse.
Ce que je pense du thème général du livre : Le thème de l’amour, amour bonheur, amour douleur, est particulièrement bien traité.
Ce livre ferait-il un bon film ? : Oui, je le verrais bien dans le style d’ « Un homme et une femme » de Claude Lelouch.