Premier Chapitre
1.Le sang s’engouffre dans les sillons de son cou, créant de parfaites perles carmin qui viennent éclabousser la terre cuivrée. Une tache rouge s’étend sur sa robe au niveau de son sein droit. Son visage désarticulé tombe en arrière et ses longs cheveux couleur de feu baignent dans le liquide vermeil que le sol aride ne parvient pas à absorber.
Il maintient sa nuque, la berçant pour qu’elle ne s’endorme pas. Il ignore si elle est déjà partie. Il l’embrasse sur le front et lui caresse la joue de sa main ensanglantée qui dépose une traînée rouge sur sa peau blanche. Autour d’eux, des hommes font la guerre et la terre tremble.
Un voile brumeux se dépose devant ses yeux ; la femme qu’il étreignait a disparu. Une autre plus jeune a pris sa place. Il appuie sur la plaie de son ventre pour retenir le sang qui s’échappe de son corps immobile et retire aussitôt sa main, laissant mourir un cri d’horreur sur ses lèvres.
Une larme coule sur sa joue qu’un vent d’une chaleur inouïe sèche instantanément. Lorsqu’il relève la tête, un tourbillon de feu danse autour de lui avant de se jeter sur son corps impuissant.
Herran se redresse en criant, trempé de sueur. Les images de ces femmes mutilées le hantent encore quelques secondes, puis il les chasse en allant asperger son visage d’eau froide. Les flammes de son rêve dansent devant ses yeux noirs lorsque l’on frappe à la porte :
— Herran, réunion dans la Grande Salle, dit la voix rauque d’Olki.
Ce dernier baisse la tête pour ne pas se cogner le front dans l’encadrement de la porte et pivote pour pouvoir faire entrer son corps, masse disproportionnée qui a la capacité de rapetisser tout ce qui se trouve à sa portée. Son visage orangé encadré par de longs cheveux noirs se fronce tandis qu’il s’assoit sur le lit qui grince en signe de protestation.
— Ta tête fait peur à voir. Tu as encore rêvé.
Olki observe les lignes boursouflées rayant le dos de son ami. Quatre longues cicatrices parallèles de son omoplate gauche à sa hanche droite comme des griffures implantées dans sa chair. Herran se tourne vers la porte avant de mettre un T-shirt et ce sont les brûlures constellant son torse qui attirent l’attention d’Olki. Même s’il y est habitué, la vision de ces stigmates du passé reste douloureuse.
— Cette fois-ci, j’ai vu quelque chose…
— Dans ce cas, tu ferais mieux de descendre, lui conseille-t-il de sa voix grave en sortant de la chambre.
Herran chausse ses bottes et attache ses cheveux bruns. Il positionne la cape vert kaki que portent tous les membres de la communauté et vient poser ses mains sur le bâton de pèlerin accroché au mur. Il appuie ses doigts sur le bois tendre et chaud sur lequel sont incrustés de multiples signes qu’il connaît par cœur sans parvenir à les déchiffrer, puis sort de la chambre située dans le couloir des hommes dans l’aile gauche du monastère. Il descend l’escalier de l’allée centrale jusqu’à la partie souterraine, un temple obscur éclairé à la lumière des bougies. Il marche devant les grandes fresques historiques qui tapissent les murs sous le regard d’hommes morts depuis des siècles dont les bustes jalonnent la pièce.
Il écarte le rideau de velours rouge qui délimite l’accès à la Grande Salle, positionne la capuche verte sur sa tête et s’assoit sur une des rangées de chaises en bois disposées autour d’une petite estrade circulaire. Le silence s’installe et tout le monde attend celle qui saura les guider sur le bon chemin.
— Mes chers amis…
Une femme sans âge portant une robe jaune parcourue de perles étincelantes que ses longs cheveux dorés recouvrent jusqu’aux hanches marche vers le puissant socle à ses pieds.
— Aujourd’hui, n’est pas un jour comme les autres. Le ressentez-vous ?
Elle s’arrête sur le promontoire à moitié caché sous sa robe. Ses mains virevoltent dans les airs. Son visage se tourne vers le ciel et se penche une fois à droite, une fois à gauche, dans une danse au ralenti.
— Entendez-vous le murmure qui s’élève au loin ?
Ses yeux bleus plongent dans ceux hypnotisés d’une femme tremblante.
— Raconte à l’assemblée ce que tu as vu.
— J’ai vu… un ange dans le ciel. Un ange noir… Il s’est approché, m’a touché, puis a repris son envol.
La femme laisse s’échapper quelques larmes et les chuchotements naissent dans l’auditoire.
— Un ange noir ! s’écrie-t-elle, en invitant une autre femme bouleversée à se lever.
— Raconte-leur, répète-t-elle d’un ton bienveillant.
— J’ai vu… son manteau bleu… mais il a fondu… des flammes ont jailli, crie-t-elle sans contenir son émotion.
— Tout va bien, la rassure-t-elle en lui caressant les cheveux.
Elle lève le bras et un homme se positionne près d’elle.
— J’ai vu la couronne d’argent, elle flottait dans les airs, à la recherche de… du…
Les yeux de l’homme papillonnent comme pour chasser les images.
— Tout va bien. Merci, Joan.
L’homme va s’asseoir et le silence revient dans la Grande Salle. Tous ont les yeux rivés sur celle qu’ils ont élue.
— Les signes ne trompent pas.
Elle descend de l’estrade.
— Il est revenu.