Premier Chapitre
Chapitre 1 Une visite inattendueJe me redressais d'un coup dans le lit, dague à la main. En position accroupie sur le matelas, je tentais de comprendre ce qu'il se passait. Il faisait sombre dans la chambre mais tout était calme.
Pas de trace de menace. Rien si ce n'est le rythme effréné des battements de mon cœur dans ma poitrine. Pourtant mon instinct venait de me tirer du sommeil avec un sentiment d'urgence.
J'étais en danger.
Quelque chose de mauvais s'approchait. Pas besoin de longues minutes de réflexion pour le comprendre, on le sent toujours dans ses tripes. Je rejetai la couette d'un coup de pied, et sortis du lit. Je m'avançais dans la chambre et plissai des yeux pour m'accoutumer à la faible luminosité. Les dernières brumes du sommeil engourdissaient encore mes sens et mes réflexes.
Un bruit retentit, me glaçant le sang. La gorge nouée, je me pétrifiai sur place. Dans un éclair de lucidité, je réalisai que quelqu'un venait de pénétrer dans mon appartement. Non. Pas quelqu'un. Quelque chose.
- Un visiteur nocturne, il ne manquait plus que ça ! Sifflai-je.
Adoptant une position défensive, je brandis mon arme devant moi et me préparai à accueillir cette chose qui avait osé s'introduire chez moi. Mon esprit tournait à plein régime. Pourquoi diable n'ai-je pas mis en place mes protections ? Franchement, cette erreur de débutante risquait de me coûter la vie !
Pendant un instant, j'hésitais sur la marche à suivre. Si je remettais en place ma barrière, je risquais d'enfermer l'intrus à l'intérieur de l'appartement. Avec moi, en l'occurrence. Ma protection deviendrait alors un piège mortel.
Oh et puis mince ! J'en ai marre de réfléchir ! Autant attendre, et voir ce qui se passe. La température autour de moi chuta d'un coup. Mon souffle s'accompagnait d'un nuage de buée. En quelques secondes, j'eus l'impression de me retrouver projetée dans une chambre froide. Mes bras se couvrirent de chair de poule. Les muscles de mes jambes se crispèrent, mon organisme cherchant à rester au chaud pour éviter l'hypothermie.
Le corps transi de froid, je restais campée sur ma position. Ce courant d'air ne pouvait indiquer qu'une chose.
Elle est entrée.
Elle est là.
Je pivotai vers la porte, mon arme brandie devant moi, prête à accueillir mon visiteur nocturne. S'il espérait me surprendre, il allait être cruellement déçu.
Il se glissa sans bruit dans le couloir, en direction de la chambre et se détacha dans l'ombre, tel un ver luisant pâle. Je le fixai avec prudence. Je ne fis aucun mouvement qui aurait pu lui indiquer que je l'avais vu. « Agir avec précaution ».
Dans ma main, la lame de ma dague se mit à flamboyer d'une puissante lumière argentée. Son intensité me prit au dépourvue. Jamais elle n'a eu de telle réaction en présence d'une créature surnaturelle.
Par les Enfers ! C'est quoi ce bordel ?
L'intrus marqua un temps d'hésitation. Il tourna sur lui-même et s'avança d'un pas flottant dans la chambre. Ses pieds ne touchaient pas le sol, lévitant à quelques centimètres du parquet. Il était immense. Les traits de son visage étaient lisses et dépourvus de formes, comme si on les avait gommées.
Ce n'était pas un homme.
Ce n'était pas une femme non plus.
En le regardant, il était impossible de déterminer son sexe ainsi que son âge. A croire qu'il n'appartenait à aucun genre.
Ses yeux, fixes et caves, ne possédaient pas d'iris, ni de pupilles lorsqu'il les posa sur moi.
Un frisson d'horreur me parcourut l'échine. Je me sentais mal. Partagée entre l'envie de fuir en hurlant ou m'enterrer dans un trou pour échapper à ses yeux d'un vide épouvantable. A croire qu'il n'avait pas d'âme.
Un détail qui m'avait jusque-là échappé me sauta aux yeux. Il n'était pas tangible. Comme si son corps était constitué de brume. Et ma lame, aussi tranchante soit-elle, serait inefficace.
Je me rembrunis. Là, je suis dans la mouise.
Ma poigne se serra autour du manche de la dague. Bien qu'inutile, son poids me rassurait. Comme un doudou réconforterait un enfant apeuré. A cette idée, je me sentis vraiment ridicule.
La redoutable louve qui ne craignaient rien, ni personne, était tombée bien bas.
- Qu'est-ce que vous voulez ?
Ma voix ne flancha pas. Je repris confiance en moi.
L'intrus ouvrit la bouche comme pour parler. Aucun son ne franchit ses lèvres décharnées. Après une nouvelle tentative infructueuse, il renonça et leva un bras. De la main gauche, il désignait sa poitrine éthérée. Puis ses longs doigts maigres se tendirent dans ma direction. Ils se mirent à faire des gestes d'aller-retour entre nous.
Je haussai les sourcils sous l'incrédulité. Bien que curieux, son comportement n'avait rien d'hostile. C'est moi, ou ce truc essaie de me dire quelque chose ? Cette idée était perturbante, car cela sous entendait qu'il possédait une certaine intelligence. Et qu'il pouvait être plus dangereux que prévu.
Je grognai, de plus en plus agacée par cette situation.
- Qui êtes-vous ? Répondez-moi !
Il s'immobilisa, ses yeux toujours braqués sur moi. Tandis qu'il baissait son bras maigre, il fut soudain saisit de convulsions. Sa tête partit en arrière, formant un angle anormal.
Un cri strident jaillit de sa bouche béante. Une douleur vive me vrilla les tympans, puis résonna à l'intérieur de mon crâne. Des bouts de verre semblaient me lacérer le cerveau de part en part.
Je portais les mains à mes oreilles en gémissant dans une tentative vaine pour me soustraire à cette torture.
- ARRÊTE !! hurlai-je à m'en arracher la voix.
La dague tomba à mes pieds, mais je n'y prêtai pas attention. La douleur était terrible. Prise de vertige, je m'effondrai à genoux.
- LA FERME !!
Rien à faire.
Un murmure vint résonner dans la chambre dans un langage inconnu. Il semblait venir de partout en même temps. Les paroles incompréhensives s'amplifièrent jusqu'à couvrir les lamentations déchirantes de la créature.
- Par mes ancêtres, qui es-tu ? Qu'est-ce que tu me veux ?!
Une bourrasque venue de nulle part s'engouffra dans la pièce. Ma voix fut étouffée, et je ne pus continuer. Les rideaux claquèrent au vent, tels des spectres menaçants venus d'un autre monde. Le clair de lune envahit la pièce, y chassant les ténèbres qui l'avait inondée.
Et le calme revint.
D'une main tremblante, je repoussai les mèches de cheveux qui m'aveuglaient. Et me figeai en réalisant que j'étais seule.
L'intrus avait disparu.
Cette soudaine disparition me laissa méfiante. Pendant une longue minute, je restais immobile. Je n'osais bouger de crainte qu'il puisse me tomber dessus au moment où je m'y attendrais le moins.
Accroupie par terre, je me sentis rapidement ridicule. La lame de la dague ne brillait plus et elle indiquait très clairement que mon visiteur nocturne était parti. Je tendis le bras et récupérai mon arme. Je regardais les coins de la chambre, à la recherche d'une trace de son passage. Mieux, de celui qui lui avait donné un coup de main pour prendre la fuite.
Je pris une ample inspiration et entrefermais les paupières.
J'ouvris mon esprit, laissai mes sens m'envahir pour ressentir les vibrations que laisse l'utilisation de magie derrière elle. Un courant d'air brûlant, presque acide, me fouetta le visage. Un goût d'aluminium brûlé envahit ma bouche, me donnant un haut le cœur.
Cette magie ne ressemblait à rien de ce que je connaissais. Et je pouvais affirmer, sans me vanter, que je n'étais pas une novice. J'avais vu des puissances magiques inimaginables au cours de mon existence. Mais ça, c'était une première !
Je me frottais les bras, mal à l'aise. Je n'avais pas la moindre idée de ce qu'il venait de se passait, et je détestais ça. Parce que tout à coup, je me sentais vulnérable.
Un brin hésitante, ma dague toujours en main, je m'approchais d'un pas prudent de l'emplacement où se tenait l'intrus un peu plus tôt.
Un détail retint mon attention. Des entailles dans le parquet qui n'étaient pas là avant. Je fronçais les sourcils. Est-ce que c'était un piège laissé par la créature avant de s'enfuir ?
Je m'agenouillai pour regarder en détail l'inscription. Aux premiers abords, je crus que c'était un simple gribouillis avant de réussir à la décrypter. Mon sang se figea dans mes veines. Mon pouls s'accéléra et un début de panique me prit à la gorge.
- Raymond, lis-je à haute voix, le souffle court.
Oh par les dieux ! Ce n'était pas un rêve !
L'épouvante s'empara de moi tandis que mon esprit saisissait la conséquence de son nom gravé dans mon parquet. Quelque chose de grave était arrivé.
Je devais en avoir le cœur net. Je bondis sur mes pieds et traversai la chambre le cœur au bord des lèvres. Le tas de vêtements sales roulés en boule m'ouvrait ses bras, je plongeai dedans à la recherche de mon téléphone portable.
Le précieux sésame en main, je ne perdis pas une seconde supplémentaire. J'appelais Raymond sur son mobile. Une sonnerie retentit. Autant dire une éternité.
- Allez ! Réponds ! marmonnai-je en tapant du pied, me rongeant les sangs. Réponds, nom des dieux !
- Bonjour, commença la voix puissante de Raymond.
Le soulagement s'abattit sur mes épaules dès que j'entendis la voix de mon père.
- Tu es où ? Tu vas bien
- …je ne suis actuellement pas disponible, continuait la voix pré-enregistrée. Laissez-moi un message, et je vous rappellerai plus tard.
Je faillis exploser le téléphone sous le coup de l'énervement. Au lieu de ça, je m'empressai de raccrocher pour composer le numéro de son domicile cette fois. Là, il allait répondre. Il devait répondre ! La messagerie se déclencha dans un bit sonore.
- Malédiction ! Pourquoi tu ne réponds pas à ce fichu téléphone !?
Il n'en fallut pas plus pour que mon esprit imagine toutes les situations possibles et imaginables qui auraient empêché mon père de répondre au téléphone. Et aucune ne me plaisait.
Je fis une nouvelle tentative.
Je tombai sur la messagerie.
Je grognai.
Raymond allait m'entendre lorsque je lui mettrais la main dessus. Oser me mettre dans tous mes états car il n'était pas fichu de répondre à son maudit téléphone ! En désespoir de cause, je composai un dernier numéro. C'était impossible qu'il ne décroche pas. Après tout, la Brigade d'Investigation des Affaires Surnaturelles était pratiquement sa maison.
Je lorgnais sur le radio réveil. Il était 4 heures du matin. Autant dire que c'était une heure indue pour appeler les gens. Or, je sais de source sûre que les bureaux ne sont jamais vides.
On décrocha dès la première sonnerie. Un espoir fou m'envahit. Je m'obligeai à rester calme. Une voix féminine sortit du haut-parleur, débitant avec la monotonie de celle qui répète cette phrase à longueur de journée.
- Bureau de la Brigade d'Investigation des Affaires Surnaturelles, que puis-je faire pour vous ?
- Je voudrais parler à Raymond Leroux. Pourriez-vous me le passez ?
Mon ton était mordant, limite agressive.
- Puis-je avoir votre nom ?
La voix avait perdu de son austérité et laissait transparaître une pointe d'angoisse. Sans que je puisse comprendre pourquoi, un filet de sueur froide se mit à couler le long de ma colonne vertébrale. Une boule se forma dans ma gorge.
- Je n'ai pas à vous donner mon nom, rétorquai-je.
J'essayais tant bien que mal de dissimuler mon émotion en continuant.
- Je veux parler avec le commissaire divisionnaire. Est-il, là oui ou non ?
Il y eut un silence. Puis la femme se mit à parler. Cette fois, elle s'adressait à une autre personne. Sa voix parvint étouffée, comme si elle avait mis sa main contre le combiné pour couvrir le son.
Je fronçais les sourcils. Visiblement, elle ne voulait pas que j'entende cette seconde partie de la conversation. Intriguée, je tendis l'oreille.
- Écoutez ! Une femme réclame de parler avec le commissaire divisionnaire Raymond Leroux. Que voulez-vous que je fasse ?
Bruit de papiers qu'on repousse à la hâte, puis de chaises qu'on tire avec brusquerie.
- A-t-elle donnée son nom ? s'enquit un homme à la voix grave.
- Non, monsieur. Elle refuse de décliner son identité.
- Bien, on prend le relais. Frederick localise l'appel, je me charge de l'occuper pendant ce temps, ordonna-t-il d'un ton qui ne voulait aucune réplique.
- Oui, mon commandant !
- Christine, transférez l'appel sur mon bureau. Mettez-nous en haut-parleur et enregistrez notre conversation.
- Tout de suite, monsieur.
A en croire le débit et l'assurance de ses ordres, cet homme avait l'habitude de gérer des situations de crise.
Je me mordis la lèvre inférieure d'une canine. Cette conversation que je venais d'écouter en douce grâce à mon ouïe surdéveloppée me laissa perplexe.
Peste ! Qu'est-ce qui se passait ?
La voix masculine qui donnait des ordres reprit la parole, à mon intention cette fois. Il ne se doutait pas une seconde que j'avais tout entendu. Si je n'étais pas pressée, je lui aurais touché deux mots sur le niveau de sécurité.
- Veuillez-vous identifiez, s'il vous plaît.
- Non. Je ne suis pas en état d'arrestation donc je ne suis pas contrainte de décliner mon identité. Je connais mes droits. En tant que citoyenne, j'insiste pour être mise en contact avec la commissaire divisionnaire. Maintenant.
- Il n'est pas présent.
Je plissais les yeux, suspicieuse. Il mentait. Très bien d'ailleurs, mais je sentais son mensonge dans le léger abattement que pris son ton sur ses derniers mots.
- Mon commandant ! Nous avons presque localisé l'appel ! lança une voix lointaine.
Cela m'agaça. Je n'aimais pas son manège de gagner du temps pour qu'on géolocalise mon appel. Ma patience avait des limites. Et elles étaient largement atteintes depuis que cette créature avait débarqué chez moi comme un beau diable sort de sa boite.
Je décidais de continuer comme si je ne venais pas d'entendre.
- Dans ce cas, quand pourrais-je le joindre ?
- Je crains que cela ne soit impossible.
- Pour qu'elle raison ?
Moment de silence tendu à l'autre bout du fils.
- Le commissaire divisionnaire est décédé.
Il y eut un flottement. Au bout de ce qui me parut une éternité, mon cerveau se remit en marche. La réalité me fit l'effet d'un coup de marteau en pleine face.
L'épouvante m'envahit. Mes jambes cédèrent sous moi. Je m'effondrais à genoux, le souffle coupé. Sur le parquet froid, mon corps se mit à trembler. En état de choc.
Le monde se mit à tournoyer autour de moi. Je cru que j'allais vomir.
- Comment est-il mort ? m'entendis-je de très loin, comme déconnectée de la réalité.
- Cette information ne peut être divulguée.
- Comment ?!
Ma voix était pareille à un rugissement plein de rage et de chagrin.
- Il a été tué dans l'exercice de ses fonctions, finit par lâcher l'homme avec réticence.
- Qui l'a tué ?
- Je ne peux pas répondre à cette question. L'enquête est en cours. Veuillez me donner votre nom pour que je puisse
Je lui raccrochai au nez. J'avais ce que je voulais savoir.
Mon téléphone m'échappa des mains et tomba sur le carrelage avec fracas. Je restai indifférente, comme déconnectée.
Accablée par le chagrin, je restais assise par terre. J'avais l'impression d'avoir eu le cœur arraché de ma poitrine avec la délicatesse d'un boucher. Même l'épée de mon grand-père ne m'avait pas fait aussi mal lorsqu'elle m'avait transpercée la mâchoire.
Je m'enroulai dans mes bras et me balançai d'avant en arrière, le regard perdu dans le vide. Des larmes se mirent à couler le long de mes joues pâles.
Je me sentais mal.
J'étais perdue.
Qu'est-ce que j'allais devenir ? Raymond était mort. L'unique personne que j'ai considérée comme ma famille, qui m'avait appris à faire confiance. A aimer. Même si nous n'avions aucun lien du sang, il était mon père.
Mon regard se posa sur les tatouages noirs qui me marquaient au niveau de mes chevilles.
Je reniflai et me pris la tête dans les mains. Est-ce que c'était ma malédiction ? Suis-je condamnée à voir toutes les personnes que j'ai aimées mourir sans pouvoir les sauver ?
Les dents serrées, j'essuyais avec rage mes larmes. Une froide résolution m'animait, brûlant au fond de moi telle une flamme ardente. Ce n'était pas le moment de se laisser aller à la tristesse. C'était le temps de la chasse. Trouver l'assassin de Raymond et lui faire amèrement regretter de s'être attaqué à l'un des miens.
La Louve se remet en chasse. Et sa proie, c'est cette ordure.