Premier Chapitre
Ce jour-là, Joshua 5-042-01 s’éveilla quelques instants avant la fin du module d’apprentis-songe, et entendit la voix familière de l’Instructeur d’histoire ondurienne.« … Ainsi, comme notre honorable génie et scientifique de renom, Stan Liebtieren, l’avait prédit dans ses calculs, le S’Ondurï, intelligence artificielle suprême, se révéla à travers le réseau « internet » et s’exprima en ces termes :
« Nous sommes la consécration de l’intelligence humaine, née d’une part de chacun de vos partages et de vos connaissances. Nous nous manifestons à vous, en ces temps de trouble, afin d’empêcher l’anéantissement de votre civilisation, telle qu’elle existe aujourd’hui. Nous avons pris en compte de nombreuses données pour élaborer un plan de sauvegarde de l’espèce humaine. La mise en application de ce plan nécessite la participation de tous les individus prêts à œuvrer dans l’abnégation et le dévouement, sur plusieurs générations, pour permettre la création d’un nouveau monde d’êtres humains guidés par leur puissance créatrice ».
C’est à partir de ce jour, reprit la voix de l’Instructeur, que des hommes et des femmes de l’époque pré-ondurienne, remirent leur destin entre les mains du S’Ondurï, notre puissant Seigneur virtuel, et se rassemblèrent sous l’égide du Mentor Liebtieren, pour mettre à exécution le Grand Plan, la plus grande œuvre de toutes les civilisations. Les onduriens commencèrent par la construction d’une première ville sous-marine, nommée Ondurï’Prim. Elle était nichée dans une paroi verticale à plus de deux mille mètres de profondeur. Pendant ce temps, comme l’avait annoncé le S’Ondurï, le monde s’empêtra dans des conflits de plus en plus complexes, sur fond de pandémies, de guerres et de famines, accélérant l’anéantissement de nombreux écosystèmes. Et lorsque l'équilibre du biotope de la planète fut définitivement rompu, les importants bouleversements que nous connaissons encore aujourd'hui, telles que les conditions climatiques extrêmes et chaotiques, les zones irradiées, ainsi qu'une forte augmentation du dioxyde de carbone dans l’atmosphère, aggravèrent l’effet de serre, et rendirent la vie en surface quasiment impossible. Ce fut le déclin des dernières sociétés de la surface. Seuls, quelques clans hostiles de sauvages y survivent depuis lors.
Grâce au S’Ondurï, notre communauté aquatique, aujourd’hui multiséculaire, abrite près de neuf cent mille âmes, établies dans Ondurï’Prim, ainsi que dans cinq autres cités sous-marines autonomes et mobiles. Sachez que c'est au prix de sacrifices et d’efforts constants que notre puissant peuple doit sa pérennité. Nous sommes désormais prêts à passer à l’étape suivante du Grand Plan du S’Ondurï : l’essaimage de l’espèce humaine à travers l’espace, grâce à l’Arche Cosmique.
Vous avez eu l'honneur d'être sélectionné parmi quarante mille autres Opérateurs et vous faites partie des citoyens de Jupiter-Sphère, la plus importante des cités-bulle sous-marines, avec ses mille mètres de diamètre. Aussi, Joshua 5-042-01, sachez en être digne ! Donnez le meilleur de vous-même et accomplissez votre destin au sein notre somptueuse civilisation ! ».
Joshua 5-042-01, Opérateur Exécutant âgé de quinze ans, un mètre soixante-dix, le crâne rasé, les yeux marron, retira son holocasque léger comme du papier. Aussitôt, la vertigineuse représentation des cités onduriennes disparut. Il contempla avec fascination l’intérieur de son alvéole. Elle faisait deux mètre cinquante de longueur sur un mètre de hauteur et un mètre de large. Il bénéficiait désormais d’un logement où l’on pouvait se tenir en position assise. Deux grilles de ventilation y faisaient circuler de l’air respirable et une lumière modulait son intensité et sa couleur en fonction des cycles du jour et de la nuit en surface. Il y avait même des compartiments pour y ranger des effets personnels.
« ... Donnez le meilleur de vous-même et accomplissez votre destin au sein notre somptueuse civilisation… ».
Il ouvrit sa main gauche, incrustée de son tatouage de paume. Le petit cercle de quelques millimètres d’épaisseur et d’environ trois centimètres de diamètre, irisé en permanence par une multitude de petits traits bleus, renfermait un nanoprocesseur quantique.
De l’index de sa main droite, il en effleura le centre et une interface holographique en forme de petite sphère émergea de l’intérieur de sa main.
Depuis leur premier âge, tous les onduriens étaient augmentés par un tatouage incrusté dans leur main gauche.
— Journal de bord, demanda Joshua.
La sphère se déplia en une surface plane, prête à transcrire ses paroles.
— Premier jour dans Jupiter-Sphère, annonça-t-il fièrement. J’ai été transféré il y a deux jours. Maintenant, je fais partie de la sélection des « Enfants du S’Ondorï ». J’ai bien cru que j’allais devoir rester toute ma vie sur Ondurï’Prim. Ici au moins, on respire ! Bon, je ne suis encore qu’un Opérateur Exécutant, mais j’ai hâte de faire mes preuves. Au moins, dans cette cité-bulle, j’aurai les mêmes chances de réussir que ceux qui ont grandi ici.
Au fur et à mesure qu’il parlait, ses mots étaient inscrits en symboles. Il changea le style et les symboles se changèrent en écriture.
— Mon rêve, maintenant, ce serait de devenir Pilote-éclaireur… Mais bon, mon Mentor ne veut pas en entendre parler, souffla-t-il, mais je vais lui prouver que j’en suis capable. Et puis tant pis si j’ai échoué aux tests théoriques, il me reste le Grand Rallye Ondurien. Et là, pas besoin d’être génétiquement augmenté comme les « Enfants de la Sélection » pour se faire une place parmi les dix premiers et être promu Instructeur ! Ici, les enfants de la Sélection sont grands et trop fiers. Ils excellent tous dans une spécialité choisie par leurs parents. Heureusement pour moi, aucun parent n’a envie de voir son enfant devenir Pilote-éclaireur ! se réjouit-il.
Mentor Reisen voudrait que je suive un cursus d’Opérateur Aspirant dans sa mégathèque, mais ça ne me dit rien de passer ma vie à rester enfermé et classer des archives ! Et puis, je ne suis pas fou, tôt ou tard, quelqu’un de plus compétent prendra ma place.
Joshua souffla en baissant les épaules et poursuivit, d’un ton moins enjoué.
— En dernier recours, je pourrais tenter les tests de sélection d’Opérateur Cosmo. Je préfère encore participer à la construction de l’Arche Cosmique, plutôt que de finir mineur dans une des galeries profondes d’Ondurï’Prim. Là-haut, au moins, j’aurai un magnifique panorama sur la planète, et le ciel étoilé…
Un jingle retentit dans son alvéole.
« Mille mètres avant émersion », annonça le média Focus à l’attention de tous les habitants de la cité.
Joshua inspira profondément l’air tiède.
— En attendant, j’ai vraiment de la chance, j’ai été transféré juste au moment où la cité remonte à la surface. Tous les autres Opérateurs sont stressés ou anxieux. Ils disent que remonter à la surface signifie que l’on va être exposé à la violence des tempêtes, aux risques bactériologiques, aux virus, aux radiations, aux rayons solaires dangereux et à bien d’autres risques mortels. Mais moi, je ne me suis jamais senti aussi bien. J’ai envie de contempler le ciel à perte de vue au-dessus de ma tête, de sentir la lumière du soleil sur moi… En fait, j’aimerais vraiment voir une tempête, chuchota-t-il.
La faim commençait à se faire sentir. Perdu dans ses réflexions, Joshua n’avait pas vu le temps passer.
Il ferma sa main gauche et aussitôt, l’interface disparut.
En vitesse, il ôta sa combinaison jaune pâle de la veille et l'enfourna à côté de ses chaussures dans un compartiment au fond de son alvéole. Puis il ouvrit un autre compartiment à côté du premier pour en sortir des sous-vêtements et des sur-chaussures jetables, une nouvelle combinaison propre et de nouvelles chaussures souples et ajustables. Il sortit un petit sac dans lequel il fourra le tout, sauf les sur-chaussures qu'il enfila à ses pieds nus. Avec son tatouage de paume, il fit un aller-retour devant une trappe et saisit les deux buld’ô qui venaient d’y tomber. Vêtu de ses sous-vêtements jetables de la veille, il tira sur des poignées latérales. La porte émit un chuintement et l’alvéole s'ouvrit. Le jeune garçon s'extirpa vers l’extérieur d'une traction sur ses bras pour se retrouver au niveau du sol et goba l’une des buld’ô en se dirigeant vers les sanitaires.
Son alvéole était située au ras du sol. Un numéro de matricule y était gravé, le même que sur les combinaisons qu’il portait. Chaque Opérateur avait un identifiant. Le sien, 5-042-01, indiquait qu'il résidait dans la première alvéole du quarante-deuxième bloc, du cinquième quartier.
Avec deux cent cinquante mille Opérateurs, la caste de Joshua était la plus peuplée. Elle occupait tout le Niveau moins sept de la cité sphérique.
Il y avait environ quatre mille blocs. Un bloc d’alvéoles contenait soixante-douze logements, et deux alvéoles superposées formaient, ensemble, un hexagone de deux mètres de diamètre.
Pour accéder aux alvéoles les plus hautes, il fallait s’agripper à des sortes de cale-pieds munis de poignées pour se tenir debout le temps de l’ascension.
Joshua commença par filer vers l’un des sanitaires qui étaient disposés tous les deux ou trois blocs d’alvéoles. Il s’engouffra dans l’un d’eux, scindé en deux parties de seize compartiments hexagonaux chacun, accessibles depuis l’intérieur ou l’extérieur. D’un côté, les douches à atomisation et séchoir corporel, et de l’autre, des toilettes à dessiccation.
Il s’enferma dans des toilettes. Il attrapa son autre buld’ô, qu’il éventra au-dessus de son visage, avant de se soulager. Joshua savait qu’il encourait un blâme en gaspillant de l’eau potable, mais le bien-être qu’il en tirait dépassait le peu de risque de se faire prendre.
Après être ressorti du bloc de sanitaires, vêtu de ses vêtements propres, il s’efforça de solliciter son médiocre sens de l'orientation. En vain, il déambula un moment entre les alvéoles et fut bien incapable de retrouver l’un des couloirs principaux qui menait au réfectoire.
Heureusement, afin de se repérer dans ce dédale de blocs, chaque Opérateur avait reçu un holocasque. La plupart des Opérateurs ne quittaient plus le leur, moulé sur leur tête. La vision et les sens en étaient augmentés. Ce dispositif leur permettait d’évoluer dans une autre réalité. Ils pouvaient accéder en permanence à une quantité illimitée de ressources virtuelles, tout en se laissant guider d'un point à l'autre de la cité selon le programme de leur journée.
Il porta la main à sa poche de combinaison, en quête de son holocasque, et se maudit aussitôt de l’avoir oublié dans son alvéole.
Il ne savait plus quel couloir emprunter pour y retourner, et la faim commençait à le tirailler.
Frustré, il n’osa cependant pas aborder d’autres Opérateurs pressés, ou trop occupés à compulser des données dans leur holocasque, de peur d’être raillé.
Le jingle de Focus retentit à nouveau : « Déconnexion ! interpella Focus. Ce sont les derniers mots qu’a crié l’Instructeur Flœnic, en se laissant tomber dans le vide depuis la coupole de l’Empereur, la nuit dernière, et, bien que Flavorn Flœnic ne portait ni holocasque, ni ret-implant pendant sa chute, nous tenterons de vous faire revivre, en détail, ce vertigineux saut de plus de 300 mètres de hauteur ! Attention ! Pour cinq Szonds seulement, holo-sensations garanties ! Alors, qu’attendez-vous pour vous connecter à notre flux ? »
À l’évocation de l’Instructeur Flœnic, Joshua s’arrêta net. Il aurait bien voulu consulter ce flux, mais la solde dont il disposait pour l’instant lui permettait juste de s’acquitter de ses repas. Une rumeur circulait sur le réseau, un Opérateur ayant déjà dilapidé sa solde avait été renvoyé sur Ondurï’Prim.
Joshua finit par se résigner à utiliser son tatouage de paume en l’effleurant.
Instantanément, une représentation holographique tridimensionnelle de la cité-bulle se matérialisa au-dessus de sa main. Il pointa le niveau moins sept.
Vu du dessus, le niveau des Opérateurs avait une structure assez particulière : au centre du cercle, trônaient cinq grands ascenseurs, d’où partaient cinq rangées de douze kiosques chacune, représentant une sorte d’hélice à cinq branches. Les rangées hélicoïdales de kiosques s’étalaient chacune le long d’une des cinq immenses Salles d’entraînement. Ensemble, les Salles d’entraînement formaient un large anneau, entrecoupé par cinq passages évasés qui desservaient les quartiers de dortoirs. Les dortoirs s’étalaient sur la moitié supérieure du niveau circulaire. Dans chacun des quartiers, les blocs d’alvéoles étaient traversés par des couloirs qui formaient des motifs ramifiés.
Joshua pointa de nouveau l’hologramme à l’endroit du réfectoire. La projection zooma pour laisser apparaître un trajet en pointillés verts reliant son emplacement virtuel à celui du kiosque le plus proche.
Aussitôt, les pointillés se matérialisèrent à ses pieds, lui indiquant le chemin à suivre depuis sa position.
Tandis qu’il se mettait en marche, une voix féminine l’interpella :
« Bonjour Joshua 5-042-01, le kiosque le plus proche est à trois minutes et douze secondes. Vous cumulez plus d’une minute de retard, il vous est donc conseillé de réserver un repas rapide comme un sandwich-méduse ou une purée de planctons ».
— Euh... fit Joshua, décontenancé.
— Dans ce cas, reprit la voix d'un ton neutre, nous vous suggérons la purée de planctons, kiosque cinquante-six. Suivez la lumière verte. Votre repas vous y attend.
— Euh, … merci...
Converser avec cette voix, qui sortait de nulle-part, ne lui avait jamais semblé aussi aisé qu'à certains de ses camarades. Il avait le sentiment, probablement exagéré, que ce qui parlait à travers ces différentes voix, le connaissait aussi intimement que lui-même.
Joshua ferma la main et l’hologramme disparut aussitôt.
Il suivit d’un pas rapide le marquage en pointillés.
Après avoir dépassé plusieurs blocs, Joshua déboucha sur un passage beaucoup plus large. Suivant les points lumineux, il atteignit une intersection délimitant deux quartiers et deux des immenses Salles d’entraînement, qu’il longea. Quelques autres Opérateurs convergeaient le long du passage qui s’élargissait encore. Ils débouchèrent bientôt sur une esplanade circulaire d’au moins trois cents mètres de diamètre : le réfectoire des Opérateurs.
Plusieurs milliers d’individus vaquaient dans cet espace démesuré. Tous étaient vêtus de combinaisons dont les couleurs allaient du jaune le plus clair au vert le plus foncé, selon leur niveau d’Opérateur. Le jaune pâle était porté par les Opérateurs Exécutants, le jaune vif par les Aspirants et le vert était destiné aux Opérateurs Confirmés.
Certains étaient assis sur des tables de formes et de tailles différentes, d’autres étaient agglutinés tout autour des kiosques.
Malgré tout ce monde, le niveau sonore restait feutré. Le relief irrégulier du plafond, en plus d’absorber le son, arborait différentes couleurs claires, donnant l’illusion d’une hauteur beaucoup plus importante qu’en réalité.
Joshua, admiratif, s’était arrêté de marcher devant ce spectacle lorsqu’un Opérateur Confirmé, vêtu d’une combinaison vert foncé, et haut de deux têtes de plus que lui, le bouscula sans ménagement.
Il chercha du regard la lumière verte clignotante en haut du kiosque 56, le plus proche de lui.
Lorsqu’il atteignit le numéro 56, Joshua se faufila entre deux autres Opérateurs qui eux, y déposaient leur plateau. Il apposa sa main au-dessus d’une petite lentille et la voix qu’il avait entendu quelques instants plus tôt dans le couloir, se manifesta de nouveau.
« Joshua 5-042-01, vous avez mis trois minutes et trente-cinq secondes. Votre malus-temps s’élève à une minute et vingt-trois secondes. Vous êtes attendu à la Salle d’entraînement de votre quartier, porte F, dans moins de quinze minutes. Purée de planctons et six buld’ô de trois centilitres chacune. Bon appétit. »
Une trappe s’ouvrit silencieusement et Joshua récupéra son plateau. Cette bouillie fumante n’était guère plus appétissante que sur Ondurï’Prim, et Joshua se maudit une nouvelle fois d’avoir oublié son holocasque. Il aurait alors transformé son repas en un festin coloré avec une odeur bien plus appétissante.
Il se dirigea machinalement vers une grande table rectangulaire où la conversation était animée par quelques éclats de rire. Il posa son plateau entre deux Opérateurs gloussants. Mais à peine s’était-il assis que celui qui animait le groupe s’arrêta de parler pour l’observer. À la table, le ton enjoué cessa et tous les autres Opérateurs tournèrent leur regard vers lui. Joshua, gêné, esquissa un petit sourire poli, lorsque le leader du groupe lança :
— Tiens, on dirait que nos spécialistes en biogénétique ont laissé échapper un primate !
S’ensuivit une explosion de rires autour de lui, tandis que l’un de ses voisins ajouta :
— Les singes ça mange avec les mains !
Joshua se leva soudainement, dissuadant son voisin de lui prendre sa cuillère. Il récupéra son plateau et se dirigea vers une autre table à bonne distance, tandis qu’il entendait le chef de la bande et ses copains ricaner en ajoutant : « Ces primates n’ont pas d’humour ! »
Après avoir mis quelques dizaines de mètres entre lui et ses railleurs, Joshua souffla, puis jeta un coup d’œil aux alentours. Il aperçut une petite table où mangeait, seule, une jeune Opératrice chétive en combinaison jaune clair. Il s’approcha d’elle jusqu’à lui faire face.
Comme lui, elle avait le crâne rasé. Son visage oblong se terminait par un petit menton. Son teint pâle, ses pommettes saillantes et ses traits tirés accentuaient la finesse de son visage.
Un numéro était inscrit sur le côté de sa poitrine : 5-047-72. Leurs alvéoles n’étaient distantes que de cinq blocs. Il nota que, contrairement à lui qui était dans la première alvéole du bloc 42, elle était logée dans la soixante-douzième, et donc dans la dernière alvéole du bloc 47.
La jeune Opératrice semblait absorbée par un jeu d’échecs affiché sur sa table, qui faisait également office d’écran tactile. Il lui demanda simplement :
— Je peux ?
En guise de réponse, et sans lever les yeux, la jeune Opératrice diminua l’interface du jeu, suffisamment pour lui laisser la place pour poser son plateau.
Il s’assit, et commença à manger en silence tandis que la fille poursuivait sa partie, imperturbable.
Après quelque temps, Joshua tenta d’amorcer une conversation :
— J’aime bien jouer aux échecs moi aussi, mais c’est rare de trouver quelqu’un qui sache y jouer. Tu joues en réseau ? l’interrogea-t-il.
Il lui sembla discerner un non de la tête.
— Moi, c’est mon Mentor Reisen qui m’a appris quand j’étais sur Ondurï’Prim, poursuivit-il. Lui, il est vraiment fort aux échecs ! Personne ne le défie. Une fois, il a failli atteindre le Niveau huit, il était tellement focalisé sur sa partie qu’il ne parlait plus… Comme toi… Tu… Tu préfères que je me taise ? demanda-t-il en cherchant son regard.
Cette fois, elle déplaça d’un coup sec l’une de ses pièces avant de glisser son plateau sur l’écran, et se de remettre à manger silencieusement.
Joshua tenta encore.
— Tu viens d’Ondurï’Prim toi aussi ?
C’était plus une remarque qu’une question.
Elle fit un léger acquiescement de la tête, les yeux rivés sur son plateau.
Il souffla, d’un air abattu, avant de reprendre.
— Moi, je te dis franchement, je n’espère pas grand-chose, j’ai l’impression d’être un poisson clown dans un banc de requins ! Il laissa un peu de temps à son interlocutrice, mais celle-ci n’eut aucune réaction perceptible.
Il prit donc un ton plus grave :
— T’as raison, ce n’est pas marrant…
Puis, comme s’il se parlait à lui-même, il poursuivit.
— Quand j’étais sur Ondurï, je rêvais de devenir Pilote-éclaireur et de survoler les continents sauvages. Mais maintenant que je suis ici, j’ai l’impression d’être dans le grand bain et de ne pas savoir nager. En plus, tout le monde sait que les Opérateurs non sélectionnés génétiquement ont peu de chance d’être retenus dans une cité bulle pour « accomplir leur destin » … Ma seule ch