Premier Chapitre
« Bon. Mission accomplie, on attend la cavalerie, et puis… on rentre chez soi ! »Enfin, ça aurait dû se passer comme ça, mais... j'avais oublié quelque chose, quelque chose d'important qui s'est rappelé à moi dès les premiers instants. Oublié simplement qu’il n’y a plus de chez moi, ou s’il y en eu un, disons, que celui-ci n’est plus que l’ombre effilochée de ce qu’il a été. Alors, chez moi, c’est un bien grand mot pour définir cet espace circonscrit à la place que prendra mon cul pour parler trivialement. Mon cul, mon corps, mon enveloppe, et ça sera ça, chez moi.
Pour le reste, il n’y a pas de chez moi. Et pas de cavalerie non plus. Pas plus dans cette salle encombrée des archives où j’ai trouvé refuge, que dans la ville elle-même, que l’on devine à peine par la petite lucarne. Par temps clair, guère plus qu’une luminescence discrète sur l’horizon à l’est, comme un collier de perle sur la marge océane esquissant la frontière entre les éléments. Comme un entre-royaumes, le ciel, la terre et l’eau, et tous de se confondre, de se cristalliser dans cette guirlande de points qui brillent sur l’écran noir d’un horizon éteint. Suffisamment proche pour qu’elle soit toujours là, suffisamment distante pour qu’elle ne soit qu’un rêve. Providence. L’incarnation sensible du mythe de Tantale pour ce qui me concerne, d’un trésor qui s’offre pour mieux se refuser, comme la main tendue d’une obscure oasis dans le désert étrange qu’est devenue la nuit. Une main qu’on vous tend, mais qui n’offre somme toute que la promesse égale d’une désillusion. Une claque dans la gueule ! C’est bien là tout ce qu’offrira jamais cette ville désormais.
La ville est là, quelque part, mais elle ne brille plus. Là, dans cet espace étouffé qui s’appelle l’horizon, auquel la peste-brume prête son uniforme d’une noirceur monochrome. Existe-t-elle encore ? Il est à croire que non. Il n’y a plus de perle sur la jacket du monde, même pas un galon. Il n’y en a jamais eu, ni perle, ni collier, pas de trésor caché au pied de l’arc-en-ciel, plus rien ne brille à l’est, l’horizon s’est éteint, il n’y a plus de boussole, plus de nord, plus de sud, et plus de Providence. Pas la moindre espérance. Une noirceur sans fin.
Providence, même le nom prête à sourire, du mauvais côté de la bouche, va sans dire. Quelle provende pourrait bien fournir un bled comme celui-là à présent ? J’ai ma petite idée, rien de très engageant, peut-être rien de véritablement nouveau non plus à bien y regarder, du moins, rien qui départirait du folklore local. Providence, un nom… prédestiné. L’« Ordination divine de toutes les créatures vers leur fin propre ». Si l’on se fie à la définition qu’en donne la Bible de Chicago 1956, dont j’ai dégoté l’exemplaire dans un des tiroirs du bureau. Une bible catholique, mais ça fera mon affaire, au point où on en est. Sans doute appartenait-elle au vieil O’shawnessy. Le préposé aux archives, entre autres fonctions, l’un des rares membres du personnel administratif dont je connaisse le nom. Patrick O’shawnessy, l’un des seuls dans les parages avec qui j’aurai pu partager, sinon une amitié soutenue, disons, des échanges gratuits, anodins et sans autre fonction que de passer le temps. De bons moments. En général sur l’un des bancs du parc, près de la fontaine aux carpes, pendant sa pause cigarette. Mais celui-là tout le monde le connaît par ici, supporter des Celtics de Boston, et ça tout le monde le sait aussi. Un brave type, avenant, marrant, un peu trop prosélyte pour son équipe de basket, mais enfin, humain, terriblement humain, tout le monde ne pourrait pas en dire autant.
C’est bien dommage qu’il soit parti si tôt. L’un des premiers à disparaître au tout début des événements, et sans doute l’un des derniers humains dont je me rappellerais le nom. « Les premiers seront les derniers... », comme il est dit quelque part dans cet auguste livre relié de cuir rouge doré à l’or fin. Peu de chance qu’il vienne le réclamer à présent. Autant qu’il serve à quelque chose. Et la définition de l’Encyclopaedia Catholica d’ajouter : « La providence est, (en ce sens), le plan divin tel qu’il existe dans l’esprit de Dieu qui conduit toute chose vers sa fin particulière ». Ouais, divin, je ne sais pas, cela dépend sans doute de ce que l’on admet comme définition du vocable en question, mais la fin, particulière, très certainement. Pour ce qui me concerne, et tout autant pour la ville elle-même. Il est même peut-être plus enviable d’être réfugié par ici, que là-bas désormais – enviable, je veux dire, en vie. Car, ma ville d’adoption, ne ressemble plus vraiment à ce qu’elle a pu être auparavant. Bien loin du charme provincial que lui prête la tradition. Bien loin de l’image surannée de cette Nouvelle Angleterre de carte postale dont je me suis nourri, avec ses toits en mansarde dont les dalles d’ardoise autorisent l’illusion de quelques sautes du temps. Est-ce le nouveau monde, ou est-ce encore l’ancien ? La Hollande du roi George, ou seulement… rien qu’un étrange rêve sorti des limbes du temps ?
Un rêve qui n’est pas, dans une ville qui n’est plus, mais peut-être qu’au fond, elle n’a jamais été, rien qu’une projection, de plus. Quelle importance au demeurant, que reste-t-il maintenant des rêves mansardés aux toits de Providence ? Même la Miskatonic a dû perdre quelque peu de sa suffisance, et de sa rigueur, toute britannique. Il est fort à penser que « le temple » de l’université ne soit plus désormais, qu’ardoises et briques rouges, poussières d’ardoises, et poussières de briques rouges au milieu des colonnades à moitié écroulées. « Poussière qui redevient poussière », le temple déconstruit du savoir saccagé par une peste-brume qu’on n’avait pas vu venir. C’est bien la seule chose dont je puisse être sûr. Changement d’architecture. Une déliquescence. Providence et la Miskatonic ne sont plus que souvenirs éteints dont la flamme se rallume si je souffle dessus. Mais je n’ai plus de souffle, et la mémoire s’éteint, emportant avec elle, l’imagerie qui m’en reste, comme un mauvais selfie du monde disparu.
C’est pourtant bien l’endroit sur cette planète où j’aurai passé le plus clair de mon existence, pas de là à le considérer comme, chez moi, cependant, force est de reconnaître qu’il s’agit bien pour moi d’une sorte de sanctuaire, de… de l’asile où je me réfugie quand l’impression me gagne de ne plus avoir de place en ce monde. Dans l’Arkh. Providence et ses dépendances, des collines de Dunwich, jusqu’à la bouche portuaire d’Innsmouth, mais surtout Providence. Là, où je suis encore actuellement, à mon corps défendant, mais enfin, oui, c’est bien depuis les hauteurs éloignées de la ville que je livre ce témoignage. L’ultime témoignage, cet enregistrement. La trace, la preuve, le relevé, comptable, de tous les événements qui auront conduit le monde jusqu’à sa perte. La fin des temps, du moins, de celui qui était imparti à l’espèce. Il n’y a qu’à regarder. L’obsolescence frappe au carreau de la planète bleue, au carreau même de la lucarne ovale qui me sert d’observatoire, ou de verre grossissant. Au carreau du sapiens descendu de son arbre, ce sapiens qui s’est pris pour un dieu, et qui n’était somme toute qu’un singe plus bricoleur qu’un autre. Il... a ouvert les yeux. Et le rêve s’est éteint. Comme la ville elle-même. Et comme toute l’espèce. À commencer par moi, redevenu primate depuis cette éminence, cet arbre singulier, l’arbre de la connaissance, comme le dernier palier de cet établissement. La salle des archives.
On ne quitte jamais vraiment Providence, parfois on s'en éloigne, mais jamais on ne claque la porte définitivement. L’Arkh, comté de Providence, c’est comme un sortilège, on y revient toujours. Un sortilège, dont on ne saurait dire s’il tient de l’enchantement, ou du désenchantement. Ce n’est pas faute d’avoir été prévenu, l’endroit, nourrit quelques légendes locales que l’histoire a retenu, ou bien, que j’aurai retenu moi, hélas, trop tardivement. Des légendes, des histoires qu’on colporte d’une génération à l’autre, des contes, des anecdotes, des fictions, celles d’un genre populaire, la terreur qui somme toute n’est plus un art mineur, mais bien le seul à même de retranscrire la dernière sensation qui précédera la fin.
Nul n’en n’aura tenu compte. Moi, le premier, bien évidemment. Ils sont là, dans ma tête, souvenirs effacés d’une adolescence troublée, dont il ne reste rien qu’une impression diffuse. Même pas un souvenir tangible, seulement une impression, une forme d’incandescence détachée de l’objet, je sais. Je sais que dans la maille de ces contes populaires s’exprime aussi la trame d’une horreur véritable. Une forme d’annonciation, qui n’aurait rien eu à envier à celle de l’évangéliste Jean. Malheureusement je n’y aurai pas prêté l’attention requise à l’époque, effacé, comme beaucoup de choses. Qui de sensé au demeurant aurait pu prêter sérieusement attention à l’un de ces illuminati naufragés d’un autre siècle, dont on ne retient guère, que l’expression singulière d’un fol imaginaire, ou d’une folie rampante qui ne dirait pas son nom ? Personne, des rêveurs, ou des fous, mais sinon ? Et pourtant, qui pourrait nier la présence de ces choses juste derrière cette porte, cet ultime rempart qui me préserve encore, mais pour combien de temps ?
Ceux-là l’avaient prédit, les conteurs, écrivains ou poètes, les chantres d’un folklore qui n’est plus qu’un souvenir inconscient et lointain. Ils l’avaient mis en scène, sans même se rendre compte de l’essence prophétique que portaient leurs écrits. La fin des temps, oui. La fin des temps commence à Providence. Elle a déjà eu lieu pour bien d’autres avant nous, d’autres, qui n’auront laissé nulle trace en ce monde que quelques écorchures. Des traces de leur passage que le folklore aura retenu, ou disons métamorphosé. Mais au-delà de ça, des contes, des récits fictionnels, ou même des visions millénaristes plus improbables encore, il y avait pourtant tout un faisceau de preuves autrement plus concrètes, comme plus accessibles, des preuves tangibles dans l’histoire même de l’Arkh. Faits divers. Il n’y avait qu’à ouvrir les yeux, les gazettes des journaux, ou plus sûrement peut-être, ouvrir les bons dossiers. Savoir lire, entre les lignes, surtout prendre le temps. Moi je ne l’ai pas fait, ou pas suffisamment. Pas avec les bons yeux. Maintenant qu’ils sont ouverts, c’est le temps qui n’est plus.
Les choses sont mal faites, défaut de construction, décalage permanent, depuis les origines, une insatisfaction, un désaccord sensible entre le monde lui-même, et ce qu’on en perçoit. L’illusion, le Maya, la mystification, la brume… qui recouvre toute forme de réalité. Cette brume dont je n’ai pris conscience qu’hélas bien trop tard. Alors qu’elle était là depuis le commencement. À la portée de tous, elle s’offrait au regard, étalée librement à même le quotidien. Dans les journaux, les magazines spécialisés, dans ces dossiers, et plus encore peut-être dans la maille même des souvenirs inconscients, comme dans celle de notre imaginaire qui n’en est que le prolongement. En atteste ces récits, ces fictions, ces légendes, ou même ces sciences-fictions, jusqu’au livre des livres, qui s’abreuve à la source, non pas d’une folie douce, mais d’une connaissance qui dépasse l’entendement. Oui, c’était écrit depuis le commencement. Une vérité cachée, qu’un regard aiguisé, aurait pu découvrir. Une vérité, ou bien une prophétie, presque une annonciation, à même les détails de notre quotidien. Comme si… nous l’avions toujours su, depuis que l’homme est homme, sans oser nous l’avouer.
C’est une chose admise pour qui veut s’y pencher, que les légendes, le folklore local, les contes de fées, tout ce tissu flottant de notre imaginaire collectif, emprunte bien souvent sa force aux faits divers. Sa force, l’accent du vrai. Ces derniers ne manquent pas par ici. C’est peut-être pour ça que le folklore local est d’une telle richesse, d’une telle prolixité, on l’aura bien nourri. L’imaginaire, de fait, naîtra toujours d’une base réelle, c’est ainsi. Processus naturel d’une pensée humaine intrinsèquement analogique. « Ex nihilo nihil fit ». C’est toujours d’après ce qu’il voit, que l’homme conceptualise ce qu’il ne voit pas, comme on s’est plu à me l’expliquer si souvent au cours de ma vie. Et ce faisant, ce qu’on aurait pu voir ici même à Providence – Providence et dépendances, Providence au sens large, dans l’Arkh je veux dire – c’est bien l’annonciation, à peine maquillée, d’une déliquescence d’un genre terminal.
Beaucoup de faits divers, beaucoup d’étrangetés, un peu trop de suicides à l’échelle du comté, plus qu’ailleurs paraît-il. Sans être pour autant le recordman du genre, il n’en demeure pas moins que c’est un fait notable, quelque chose de mesurable, et qui n’a rien d’ésotérique. Un fait. Celui-là, et cet autre d’une même nature, beaucoup de morts violentes, pas forcément des meurtres, ni même des suicides, disons... des accidents mortels qui ne sont pas communs, et pas toujours véritablement explicables non plus. Personne n’aura relevé cette particularité, la trace d’une conjonction singulière, d’une énergie étrange, d’une sorte de mauvais œil qui s’exercerait ici-bas depuis la nuit des temps. Étrange, ou maléfique, mais qui ne se voit pas. Malédiction discrète qui reste sous-jacente, car elle n’emprunte pas à l’expression outrancière de la violence urbaine à laquelle on s’attend. Des meurtres oui, mais comme partout ailleurs, et pas tant d’agressions au vu des statistiques, assez peu de vols ou de déprédations, et puis, rien qui jamais au fond retienne l’attention au-delà du rayon étriqué qui s’appelle Providence.
L’Arkh de Providence, vu d’un œil extérieur, aurait tout d’une province éloignée aux marges de l’empire. D’une vieille dame à moitié assoupie quand bien même elle serait sur la piste de danse. Elle suit le mouvement sans l’imprimer vraiment, si bien qu’à première vue, on la croit endormie. Comme une sorte de retrait, ou bien de négation, une suspension dans un temps ralenti, ou disons décalé. « Le temps ne s’écoule pas pareil par ici », c’est tout du moins ce que l’on en dit. Ralenti, oui, comme « dé-cadencé ». Pourtant, il s’en passe des choses pour qui sait regarder. Ce n’est peut-être pas pour rien que l’hôpital psychiatrique d’État ne désemplit jamais, de même que la rubrique des faits divers du Daily Star et de l’Advertiser.
Faits divers. Là aussi le nom prête à sourire, le genre d’appellation fourre-tout plus proche des rayons chaotiques d’un bazar de bas étage que d’une véritable rubrique journalistique. Chien écrasé, demeurant sans doute au final, la dénomination qui définirait le mieux les articles en question. Chien écrasé, abandonné, perdu, c’est un chenil tout entier qui s’étalerait sur les bas côtés de la rubrique faits divers des gazettes locales. Des chiens, et des humains, jusqu’à l’orbe improbable des soucoupes volantes, qu’on retrouve parfois dans les champs alentours de la proche campagne du Massachusetts. Faits divers, qu’on appelle parfois, accidents domestiques. Une sorte de sous-rubrique, ou bien de sous-espèce, rubrique chiens écrasés, mais d’un genre spécifique. Comme le dernier en date qui aura retenu mon attention. En 2016 je crois, ou peut-être en 2017, je ne me rappelle plus. Un certain Sims, déchiqueté par sa moissonneuse-batteuse lors d’une longue nuit d’été. Déchiqueté, sans que l’on comprenne trop comment, du moins, les circonstances demeurent obscures. Un problème mécanique assurément, mais enfin ! Un problème mécanique inexpliqué, un de plus ! Sans oublier bien sûr les circonstances qu’aura relevé l’enquête du shérif, comme les journalistes des gazettes locales par ailleurs. Quelle idée saugrenue de se lancer dans de tels travaux en pleine nuit ! Seul, au milieu de son champ, et sans aucun outil. D’aucuns voulurent y voir une occurrence suspecte, car le Sims en question, avait mauvaise réputation. Le genre de gars, dont on dit qu’il fait peur aux enfants, presque autant aux parents, plus encore au pasteur. Mouton noir, si l’on veut, il y en a toujours dans toutes congrégations. Et bien sûr, il s’agissait de lui.
Je n’aurai pas vraiment l’occasion de me pencher plus avant sur cette étrange histoire, bien d’autres événements prendraient toute la place dans mon existence dans les mois qui suivraient. Néanmoins, elle faisait partie de ces choses, de ces petits détails, de ces petits riens extérieurs, que l’inconscient retient. Une forme d’étrangeté, qui s’imprima en moi, mais dont je ne sentirais l’essence véritable que des années plus tard. Bien évidemment, la mortalité locale reste cependant bien en deçà du seuil atteint dans les grandes villes plus agitées de la côte est, sans quoi, on en aurait parlé. Mais enfin, d’aucuns auraient pu remarquer, que les accidents, singuliers, comme les crises de démence, inexpliquées, émargent plus souvent qu’à leur tour les chroniques des gazettes locales. Ça aussi, c’est un fait, l’étrangeté répétée comme le refrain de quelques comptines entêtantes du folklore local : « Je l’aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, à la folie, à la folie, je ne l’aime plus du tout. »
Fertile. Fertile, l’Arkh de Providence ne manque pas de chien. C’est le moins qu’on puisse dire. Ce qui n’empêche pas ses habitants par ailleurs, d’entretenir cette idée qu’il ne s’y passe rien. Rien de notable, rien d’extravagant, rien qui mériterait autre chose que la rubrique des chiens écrasés en marge du Daily Star, ou de l’Advertiser. Bien évidemment, ils se trompent. Et bien évidemment tous les habitants de Providence en auront pris conscience à présent, de Providence, comme de tout le reste du pays, pour peu que cela ait encore une importance quelconque désormais.
Moi, je n'ai pas voulu voir. J'ai fait semblant, j'ai fait comme si. Comme si tout cela n'existait pas, comme si rien n'avait jamais existé. Comme si je ne savais pas que le diable pourtant se cache dans les détails, dans l’interstice des coïncidences et du bizarre qui se répète bien plus souvent qu’il ne devrait. Alors bien sûr, j’en avais relevé certaines, comme tout le monde par ici, du moins pour ce qui est des cas qui auront fait le plus grand bruit, car il y en eut aussi quelques-uns inévitablement. Qui n’a pas entendu parler de Stuart Pearson-Doolitle ? Ou dans une moindre mesure, de Mortimer Blackwood, ou de Billy Malone ? Encore que ces deux derniers soient quelque peu sortis de nos mémoires, ensevelis sous la très longue liste des tueurs psychopathes de ce pays. Stuart aura davantage marqué les esprits, plus durablement, le seul à figurer au « hall of fame » des tueurs en série à l’échelle nationale. Une figure locale que même la Fox aura voulu mettre en scène. Et dont l’angle de vue pourrait se résumer ainsi :
« Le petit gars de Providence...
Un bien petit homme, pour une si grande vengeance. »
Celui-là, on ne pouvait pas le manquer.
Alors oui, comme tout le monde j’en entendrais parler, de lui, et des deux autres, qui seront aussi l’objet d’une émission de radio. Mais sans jamais rien relever de ces comptes-rendus, qu’une horreur immédiate, un dégoût naturel, et rien d’autre de véritablement signifiant. Les monstres existent, ont existé, existeront toujours. Les accidents mortels, les crises de démence et les faits divers aussi. Et au final, il n’y en avait sans doute pas plus par ici, qu’il n’y en aurait eu ailleurs. C’est tout du moins ainsi que je voulais l’entrevoir pendant toutes ces années. Ni pire, ni meilleur.
Je me trompais bien sûr. Je ne voulais pas voir. Je ne voulais pas entendre. Je ne pouvais pas comprendre que derrière ces articles insignifiants, derrière l’affaire insolite d’un Smithy Jones, ou celle encore plus extravagante du mystère Abigaïl Clayborn, se cachait autre chose qu’une étrangeté de plus dans la rubrique des faits divers et des chiens écrasés. Comment l’aurais-je pu ? Et maintenant ils sont là qui bruissent tout autour.