Premier Chapitre
PROLOGUESilence. Total. Étrange. Les bruits de la nuit avaient cessé en un instant, plongeant la clairière dans une ambiance irréelle. C’est là que lui avait donné rendez –vous la Reine. Elle s’interrogeait encore sur la raison pour laquelle Elle l’avait conviée, seule, dans le sanctuaire de l’île. Elle leva les yeux vers le ciel étoilé. Pur et lumineux. Calme et serein. Ce qui ne l’empêchait pas de s’inquiéter. Ce silence total était inhabituel, la vie nocturne était si … bruyante d’ordinaire. Ce n’était pas normal. Ses yeux scrutaient l’obscurité à la recherche de présences. Soudain, un tourbillon froid l’enveloppa. Elle crut d’abord au vent frais qui soufflait du haut de la montagne s’engouffrant la nuit dans les moindres recoins de l’île. Puis les feuilles de l’immense saule pleureur se mirent à bruisser et l’apparition de petits flocons de neige qui dansaient tout autour d’elle la laissèrent médusée. De la neige ! En plein été sur une île de la Méditerranée !? Impossible ! Elle devait rêver. Un simple rêve. Il était temps qu’elle se réveille ou qu’elle retourne au château. Le tourbillon de neige s’accentua, soufflant par bourrasques lui barrant le passage. Curieusement, les flocons n’étaient pas froids. Ils venaient s’écraser mollement sur sa peau sans lui procurer le moindre frisson.
Sous les branches du saule, une lumière dorée irradia l’entrée de la grotte de l’Oracle puis se répandit dans toute la clairière l’obligeant à se retourner. Elle fut obligée de protéger ses yeux de la clarté aveuglante. Elle ne distinguait plus rien. La lumière cessa lorsque la Reine lui toucha le bras.
- Vous ?!
- Je vous attendais.
- Oui, je sais, j’ai bien reçu votre oiseau bleu. Mais pourquoi tant de mystère ? Pourquoi m’avoir fait venir ? Comment expliquez – vous cette neige ?
- C’est la première fois que l’Oracle …me parle …si précisément …
- L’Oracle vous a parlé … mais de quoi ?
La Reine, Vladys, conduisit la jeune femme sur l’un des nombreux bancs de pierre qui jalonnaient la clairière. La neige continuait de tomber mais ne tenait pas au sol. Elles s’assirent. La tension était palpable entre les deux femmes. Vladys prit son inspiration.
- Ce que j’ai à vous dire pourra vous sembler … étrange … mais vous devez … avoir confiance en l’Oracle...
- Je vous écoute, fit- elle inquiète.
Elle posa sa main sur le ventre de la jeune femme tout en la regardant intensément. Son regard devint fixe, son corps s’auréola de la même lumière dorée qui avait émané de la grotte un instant plus tôt. Sa voix se fit plus flûtée lorsqu’elle prononça…
- Vous allez donner naissance à l’un des cœurs jumeaux dont le destin sera exceptionnel… le Bien, le Mal, la Vie, la Mort… votre fils Alan sera appelé …
La jeune femme se raidit, refusant d’en entendre plus, elle l’interrompit.
- Mais qu’êtes- vous en train de me dire ? Désolée mais je ne veux rien entendre d’une diseuse de bonne aventure … avec tout le respect que je vous dois Majesté, dit – elle troublée ….
Déjà elle se levait, rompant la connexion magique qui l’avait liée à la Reine.
- Attendez ! reprit-elle, sa vie doit être menée ici, sur notre île, il a tant de choses à apprendre pour mener cette bataille, endurer les épreuves à venir…
- Il est hors de question que … mon fils …vive ici ! Nous ne sommes que de passage John et moi, vous le savez bien ! Vous ne pouvez pas nous retenir…
- Vous ne pourrez pas lutter contre sa destinée … c’est écrit …
- C’est ce que vous dites ! Mais moi je ne crois qu’en moi –même, à mes choix, à ma volonté … Je ne veux plus rien savoir de mon avenir ou de celui de … mon enfant… ! Laissez- nous vivre notre vie comme nous l’entendons. M’avez –vous bien compris !?
Furibonde, elle s’éloigna d’un pas pressé, laissant la Souveraine seule.
Les mains posées sur son ventre, la reine laissa couler le long de ses joues les larmes qui avaient envahi ses yeux. « Il ne sera pas seul … » dit- elle dans un murmure …
La neige cessa de tomber, les bruits nocturnes reprirent leurs droits donnant à la clairière son humeur habituelle. La Reine pensive et mélancolique resta un long moment silencieuse, contemplant le ciel qui se chargeait de nuages lourds et oppressants.
A l’aube, un bateau de tourisme quitta l’île avec à son bord, un jeune couple. L’homme serrait dans ses bras une jeune femme dont le visage était enfoui dans son cou. Lui, ne pouvait détacher ses yeux de l’île étrange qu’il venait de quitter à regret.
Chapitre 1 : un étrange colis
On sonna. « Pas moyen d’être tranquille ! » Soupir. Je venais à peine de m’assoir sur le canapé pour me replonger dans mon roman que cette sonnerie m’obligea à me relever. Poussant du pied les sacs que j’avais laissés en vrac dans le couloir, je jetai un rapide coup d’œil par l’œilleton et vis un livreur UPS passablement impatient. J’ouvris. Je lus dans son regard un soulagement que je compris à la vue du paquet pour le moins insolite qu’il tenait. Je signai le reçu et récupérai le colis dont le papier fait de grandes feuilles vertes de bananier me parut d’un goût saugrenu. Une délicate écriture à la plume indiquait notre adresse ainsi que le nom de mon père et le mien. Étrange. Je le déposai sur la table du salon et m’allongeai sur le canapé moelleux. Des mois ! Cela faisait des mois que je n’étais pas revenu dans l’appartement de mes parents. Ma mère s’était battue pour l’obtenir car il se trouvait juste au dessus de son restaurant. Et rien ne comptait plus à ses yeux que d’être au plus près de son lieu de travail.
La cuisine. Passion dévoreuse de temps et d’énergie. Ma mère aimait élaborer ses menus à partir de recettes qu’elle voulait les plus originales et les plus goûteuses possibles. La lecture. Sa deuxième passion. Elle pouvait chercher pendant des heures dans les innombrables livres qu’elle possédait afin d’y dénicher une idée rare ou étonnante. Ma mère souvent prise par les contraintes qu’imposait la tenue d’un restaurant me laissait souvent seul. Je m’étais donc plongé à mon tour dans les livres pour échapper à la monotonie de ma petite vie. Monotonie brisée de temps à autre par les tests culinaires qu’elle m’organisait : seuls instants de complicité dont nous pouvions profiter. Je m’en régalais donc, au propre comme au figuré.
Ma mère Gina, italienne, avait un tempérament de feu et je plaignais tous ceux qui étaient obligés de travailler avec elle. Exigeante, elle l’était autant avec elle–même qu’avec ceux qui partageaient sa vie. Autant dire qu’elle avait toujours voulu que je sois le meilleur dans le domaine que je me choisirais.
Mon père, John, lui, était son extrême opposé. Calme et serein. Mes parents se complétaient parfaitement. Si ma mère ne pouvait me consacrer que peu de son temps, lui était présent aussi souvent que lui permettait son travail à la bibliothèque du quartier. D’origine anglaise, il avait abandonné son île natale pour suivre ma mère à Paris. J’aimais lorsqu’avec son accent si typique, il me racontait des histoires. Sa voix grave et profonde m’y transportait, faisant de ces moments de lecture, des moments d’évasion et de partage inoubliables. Il savait faire vibrer les mots, les rendre vivants. Il était capable de prendre la voix de n’importe quel personnage, les rendant réels et authentiques. Il avait baigné mon enfance de contes et d’histoires merveilleuses qui avaient fait mon bonheur.
C’était seulement depuis une dizaine d’années qu’il était retourné travailler en Angleterre. Trois jours par semaine dans la prestigieuse bibliothèque de l’Université d’Arts de Londres. Le reste du temps, à Paris, il pouvait se consacrer à l’étude de manuscrits rares et anciens que de riches collectionneurs lui confiaient, soit pour les restaurer, soit pour leur en livrer une traduction qu’il espérait des plus fidèles.
Depuis deux ans, j’avais décidé d’étudier à l’Université où travaillait mon père. Ma mère avait mis longtemps à se faire à l’idée que je ne vivrai plus près d’elle. Mais elle avait compris que j’avais besoin de m’émanciper et de vivre ma vie. Maintenant que l’année était terminée et que les vacances commençaient, j’étais rentré à Paris. Le silence régnait dans l’appartement, rompu par quelques craquements du parquet ciré dont l’odeur m’emplissait de souvenirs. Je fermai les yeux goûtant ainsi à la saveur des jours anciens.
Durant le trajet de retour entre Londres et Paris j’avais pu terminer un documentaire sur l’art paysager japonais et commencer un roman fantastique dont le suspens m’avait presque fait oublier de descendre à la gare. C’était dans la précipitation que j’avais glissé mon marque-page dans le roman, me dépêchant de descendre du train. Maintenant que j’étais à nouveau tranquille, je pouvais m’allonger confortablement me calant dans de moelleux coussins pour enfin me replonger dans la lecture. Je lus un moment mais je me rendis compte que malgré ma volonté cet intrigant colis occupait toutes mes pensées. C’était bien simple, il me narguait depuis la table du salon.
Je m’assis et pris le colis sur les genoux. Je l’examinai d’un peu plus près. Nos noms et adresses avaient été écrits sur une feuille de papier jauni. Je cherchai des yeux le nom de l’expéditeur. En lisant « Royaume Sans-Age, île de Salina » je crus à une plaisanterie. J’emportai le colis dans ma chambre, le posai sur le bureau et allumai l’ordinateur. Je tapai le nom « Salina » dans Google et en un clic j’appris que c’était l’une des sept petites îles volcaniques qui composait l’archipel des Éoliennes se situant au nord de la Sicile. Cette île existait bel et bien mais qui pouvait nous envoyer quelque chose de ce bout de rocher si lointain ? Un collectionneur fou pour lequel travaillait mon père ? Mais alors pourquoi mon nom ? Ça ne tenait pas debout. De la famille oubliée ? Non plus. A ma connaissance mes grands –parents étaient morts jeunes laissant mes parents orphelins de bonne heure. Et curieusement ils étaient tous deux fille et fils unique. Tout comme moi. A moins que cela ne soit la réponse à un jeu–concours ? Des vacances de rêves ? Non ce n’était pas le genre de mon père de participer à ce genre de concours. Non, décidément rien ne collait. Il fallait l’ouvrir pour le savoir.
Je défis les nœuds des cordes qui retenaient les feuilles de bananier. Un lourd tissu noir brodé entourait un livre dont la couverture en cuir usé indiquait son âge avancé. Des lettres dorées ainsi que de curieux symboles ornaient la page de garde. Je mourais d’envie de l’ouvrir mais mon père m’avait appris qu’il fallait toujours manipuler les ouvrages anciens avec la plus grande précaution. Je le reposai donc puis découvris une lettre pliée en deux qui reposait aux côtés d’un petit coffret noir. Je lus avidement l’écriture déliée.
Cher maître,
Le temps a passé mais l’île ne vous a pas oubliés … Je vous prie de nous rejoindre au plus vite afin de nous apporter votre aide ainsi que vos précieuses connaissances du monde mythologique. Étudiez attentivement le livre que je vous fais parvenir. Il est apparu un matin à la sortie de la grotte de lumière sous la cascade, là où fut le lieu de notre rencontre jadis ... L’écrin vous révélera les secrets du Destin …
Venez avec votre fils, nous aurons besoin de sa jeunesse et de sa bravoure pour mener à bien la mission que je veux vous confier. Le temps nous est compté ...
Votre dévoué ami, le roi Vladyn
Quelle incroyable lettre ! De ce que je comprenais mon père était déjà allé sur cette île. Pourtant il ne m’en avait jamais parlé. Nous devions la rejoindre au plus vite pour y accomplir une mission des plus importantes. Laquelle ? Ce roi n’en disait rien. Quant à ce mystérieux écrin recelant les secrets du Destin, il m’inquiétait. Qui pouvait connaître notre destinée ? Un étrange pressentiment m’envahit me laissant perplexe, le cœur serré.