Premier Chapitre
Je glisse la main sous l’oreiller. Oui, elles sont toujours là, Dieu soit loué. A force de les avoir serrées, j’ai les mains tailladées mais la douleur n’est plus qu’une formalité pour moi. Est-il seulement rentré, s’est-il aperçu de quelque chose ?Encore ce combat incessant dans ma tête, la douleur commence à germer au niveau de mes tempes.
Plongée dans l’introspection de mon esprit, je n’entends pas la clé tourner dans la serrure. Quand, tout à coup, un faible point de lumière s’échappe de l’entrée et attire mon attention. Il est là. L’écran de son portable éclaire faiblement les quelques mètres qui nous séparent. Il déverse alors un halo de lumière vers moi.
- Tu ne dors pas ? demande-t-il
- Je…je…non…je viens de me réveiller à l’instant…j’ai cru entendre un bruit dehors.
- Ouais.
Je peux sentir des relents d’alcool au loin, il a bu. Un point pour moi, ses réflexes seront altérés.
- J’ai passé une soirée merdique, je vais prendre une douche.
Soudain, tous les signaux d’alarme se déclenchent en moi. Pas la salle de bain. Pas le miroir.
Putain Chloé, fais quelque chose bon sang !
- Fighter…
Il se retourne, étonné, le regard vide. Je confirme, il a dû avoir une très mauvaise journée.
- Je…je me suis réveillée…car justement…tu vois…je pensais…je me disais...que peut-être…
Mon Dieu, je suis pitoyable.
- Ouais quoi ? Accouche ?
Les mots restent coincés au fond de ma gorge.
Putain Chloé, tu vas tout faire foirer !
Je me lance. Ma voix est plus aigüe qu’elle n’aurait dû mais tant pis.
- Ce matin, avant que tu ne partes, j’avais très envie de toi…et tu vois, j’y ai pensé toute la journée…et là en m’endormant, j’ai pensé à toi…très fort…
Ma voix se radoucit, plus suave que jamais.
- Et je me demandais si maintenant tu pouvais venir me rejoindre, pour combler mes envies.
Je vois qu’il se détend au son de ma voix, il baisse la garde.
- Avec plaisir princesse, mais d’abord une douche.
- Non.
Ma réponse est trop brutale je le sais mais faute de mieux.
- Viens là tout de suite, je ne peux plus attendre, c’est maintenant ou jamais et je te promets un moment grandiose.
Non mais tu t’es entendue Chloé, on dirait une réplique d’un vieux film ringard ! Tu fais quoi là, tu veux qu’il se barre ou quoi ?
Il me regarde, interloqué. Un ange passe entre nous.
Tout va foirer je le sens. Je formule des « pitié, stp, viens » dans ma tête, mais en même temps je ne sais pas si je pourrai aller jusqu’au bout.
A mon grand étonnement, et sans crier gare, il s’approche de moi. Le regard vissé sur mon corps, je le sens, prêt à bondir sur sa proie. Il enlève ma petite culotte sans manière, son haleine alcoolisée me donne la nausée. Je suis à sa merci. Pourvu que j’aie la force.
Nous basculons en arrière. Ses gestes deviennent rapides, il se déshabille aussitôt, animé d’une excitation grandissante. Je le laisse faire ce qu’il désire.
Prends ton pied mon grand, car ce sera la dernière fois.
Je fais semblant d’aimer ça. Pour le motiver. Encore.
Mais tu aimes ça Chloé, avoue-le.
L’alcool n’aide pas à le faire jouir, mais il est persévérant. Je prends alors une grande inspiration, me murmure un encouragement en mon for intérieur et glisse la main sous l’oreiller.
J’ai mis la lame la plus pointue devant, c’est celle-là que je saisis fermement. Et dans un cri de rage et avec une force décuplée qui me vient de je ne sais où, je lui plante la lame dans le cou.
Un jet de sang me gicle sur le visage. Il porte la main à son cou et pousse un impressionnant cri de douleur. Il se retire et recule en titubant. Il me regarde avec un air d’incompréhension mais aussi avec rage. L’objet tranchant est encore planté dans son cou mais n’a probablement pas sectionné la carotide. Il serait mort sinon. En quelques minutes.
Sans me quitter des yeux, il retire la lame d’un coup sec. Le sang afflue avec abondance. J’ai envie de vomir mais je refoule rapidement cette envie au fond de moi. Je ne parviens pas à bouger, la peur me paralyse.
Sa haine devient palpable et en un bond, il se jette sur moi. Nous tombons hors du lit, lui sur moi. Son sang me recouvre le corps. Il me plante la lame plusieurs fois. Je hurle de douleur à chaque insertion. Nos deux corps meurtris s’entremêlent dans un ballet interminable de souffrance et de violence. Nos sangs ne font plus qu’un. Sa blessure au cou le rend plus faible et je me sens plus forte que jamais. J’enlève la pointe de verre, logée dans mon épaule et dans un dernier geste de désespoir, lui enfonce dans sa gorge déjà martyrisée. Il s’effondre dans un râle inhumain.
Le silence inonde la pièce, un silence de mort.
J’ai froid et le sang coule sur mes doigts. Le corps de Fighter est inerte et se fige doucement. J’entends au loin comme une sirène qui hurle à tout vent, mais sans doute que c’est mon imagination, altérée par l’envie d’être sauvée plus que tout.
Mais c’est sûrement mieux ainsi. Que je parte enfin. Fighter et moi, unis à jamais jusqu’à la mort. Tout était écrit. On n’échappe pas à son destin. Merci maman. Mes pensées divaguent. Je pense à la montagne, à la forêt, je me vois courir jusqu’à perdre haleine, toujours plus loin. J’en ai le souffle coupé. Je ne sens presque plus les blessures infligées, j’entends toujours les sirènes derrière moi, plus fortes cette fois.
Je cours, j’ai mal, trop mal. Les larmes coulent sur mes joues. Mes yeux ne répondent plus, je tombe. Et puis, le calme, trop calme cette fois. Le noir absorbe tout sur son passage. On n’échappe pas à son destin.
1
- Courage Sabier, vous verrez, avec le temps, on s’habitue.
La main posée contre le porche de l’entrée, le jeune inspecteur dégobille le reste de son petit déjeuner dans un râle bruyant. Blanc comme un linge, il se retourne pour observer la voix familière qui s’est adressée à lui. Celle de Jack Ferreras, le commissaire divisionnaire de la zone. Le silence est palpable et pesant, ce qui n’augure rien de bon. Les inspecteurs s’effacent, un à un, devant leur chef, qui vient de franchir l’entrée d’un pas décidé.
- C’est pas beau à voir, commissaire, intervient Dragier
- Fais le moi court et précis ?
- Quatre victimes, une femme, trois hommes. Homicides à l’arme blanche, et…comment dire, une mise en scène macabre. C’est Sabier qui a découvert les corps et le pauvre, pour sa première mission, il a fait fort. J’ai jamais vu un truc pareil, chef. Farrell est en route.
- Ok balise le périmètre dans les règles, je veux un nombre limité de flics sur les lieux et on ne laisse filtrer aucune information pour le moment. J’ai déjà vu quelques badauds s’agglutiner devant la propriété et j’ai pas envie que la presse ne s’en mêle. En tout cas, pas tout de suite.
- Ok chef.
- Et envoie moi Farrell pour les premières constatations.
Une imposante salle à manger s’offre à son regard. A première vue, on pourrait croire à une pièce décorée avec goût et sentant le luxe à plein nez, s’il n’y avait pas tout ce sang. Jack se met la main devant la bouche machinalement. Des trainées rouges maculent les murs. L’odeur, mêlée à celle d’un détergent, est insoutenable. Pas étonnant que le jeune Sabier n’aie pas tenu le coup.
Quatre corps, comme momifiés, se dressent autour de la table. On s’attendrait presque à voir arriver un serveur avec des plats et victuailles en tout genre.
Ferreras s’approche de cette scène de crime peu commune. Les cadavres semblent le dévisager. Assis sagement dans une posture maladroite, les corps sont figés dans un dernier sommeil.
- Putain c’est quoi ce bordel ?
Le commissaire se saisit d’un coup. Farrell, le médecin légiste vient d’arriver.
- J’en sais rien, mais celui qui a fait ça, me paraît légèrement dérangé du ciboulot, tu crois pas ?
- Légèrement, tu dis ?
Sur ce, le médecin légiste s’approche des corps et commence, non sans un soupir de consternation face à la cruauté humaine, à un examen visuel et physique des dépouilles.
- Je confirme, des blessures à plusieurs endroits du corps. Les entailles sont profondes, probablement faites à l’aide d’une arme tranchante. Absence de sang autour des plaies et cette odeur ? Bon dieu mais qu’est-ce que ça peut être ?
- On dirait une odeur de vinaigre, doc ?
Farell se redresse et se mue dans une réflexion intense.
- J’ai bien peur qu’il ne s’agisse d’autre chose, Jack. Et si mes doutes s’avèrent corrects, on n’a pas à faire à un meurtre familial banal, si je puis m’exprimer ainsi, mais à un taré dangereux et complètement fou !
- Eclaire moi ?
- La thanatopraxie, ça te dit quelque chose ?
- Vaguement, oui. J’ai dû entendre cela lors de mes cours de médecine légale à l’école de police. Mais ça doit remonter à quoi, vingt ans.
- Alors je vais te rafraichir la mémoire, la thanatopraxie est une technique qui consiste à retarder la décomposition d’un corps et pouvoir en conserver l’aspect originel. Généralement, cela se fait par la ponction des liquides physiologiques et l’injection d’une solution à base de formol dans la victime.
- Attends, là, t’es en train de me dire que l’auteur des faits, s’est amusé à vider ces quatre corps de leurs substances vitales pour les remplir de formol !
- Une autopsie en bonne et due forme le confirmera, mais oui, c’est ce que je pense.
- Putain !
L’officier et le médecin se toisent du regard. L’inquiétude se lit sur leurs visages.
Dans un silence presque religieux, les membres de la police scientifique s’activent à récolter la moindre trace ou preuve compromettante. Ferreras arpente les pièces et tente d’imaginer ce qui a bien pu se passer dans cette maison.
Il progresse, violant ainsi l’intimité de cette famille. Un détail le surprend, pas de photos de souvenirs de vacances, pas d’empreinte figée d’une quelconque vie familiale. Tout est rangé, aseptisé, presque « sans âme ».
Un bruit rapide dans l’escalier lui fait tourner la tête. Les inspecteurs Sabier et Malesse accourent, essouflés, vers le commissaire.
- Chef, on a des informations concernant les propriétaires et on a même pu identifier les quatre victimes.
- J’écoute ?
Malesse, coupant l’herbe sous le pied de son coéquippier, s’engage dans un résumé concis et précis, ce qui a l’air d’agacer fortement son collègue.
- Cette splendide demeure appartient à Julien et Bénédicte Tessier. D’après les voisins, ils sont à l’étranger, la plupart du temps. Ils bossent dans l’humanitaire, un truc comme ça. Ils ont une fille, Chloé Tessier, qu’on n’a pas encore pu localiser. Deux des victimes travaillent pour eux, Coral Dassaud, leur gouvernante, et Joseph Werner, leur jardinier et homme à tout faire.
Malesse reprend son souffle. Sabier en profite pour s’insérer dans le duo.
- Pour les deux autres corps, il s’agit d’Adam Lorel, le fils de la gouvernante et d’un certain, Samuel Lorgnac. Pour ce dernier, aucun lien n’a pu être trouvé avec les autres victimes.
- Ok bon boulot les gars. Go pour l’enquête de voisinage, mais sans rentrer dans les détails des meurtres ! Et trouvez-moi tout ce que vous pouvez sur cette famille. Je veux tout savoir !
- Ok chef !