Premier Chapitre
Chapitre 1 :Fin janvier
Il fait froid. L’automne a enfin laissé place à l’hiver. À Saint-Malo, ce dernier est humide, parfois gelé, souvent enneigé, toujours venteux. Alors, pour un mois de janvier, rien de surprenant à ce que la fraicheur se fasse ressentir.
Il fait nuit. À cette époque de l’année, le soleil délaisse son travail vers dix-sept heures. Dans la cour du lycée où je me trouve, la pénombre donne aux bâtiments, déjà fortement abimés par le temps, un aspect terne et morose, n’inspirant que de la tristesse.
Je n’apprécie pas forcément le lycée. Pourtant, je suis ce qu’on pourrait communément appeler « une élève modèle » : j’aime apprendre, la curiosité étant à la fois l’une de mes meilleures qualités et mon pire défaut, et dans mon dossier scolaire, on ne retrouve ni mauvaises notes, ni avis défavorable sur mon comportement. Une élève modèle je vous dis.
Mais c’est en dehors des cours que je ne suis pas à mon aise. Il faut dire aussi que je suis invisible. Pas au sens propre du terme évidemment, mais on ne peut pas dire que je suis remarquée par mes confrères. Pour être vu et entendu, il faut faire partie d’une collectivité. Ici, comme partout, la notion de groupe et d’appartenance est très importante, pourtant cela reste très superficiel. La popularité dans un établissement comme le mien, n’est qu’une question d’image et de voix, et je ne suis ni assez ouverte, ni assez jolie, ni assez sportive, ni assez spéciale, pour espérer faire partie d’une équipe. Moi, je fais partie de ma propre escouade. Enfin, j’ai des amis. Des connaissances de classe, que je retrouve parfois entre deux cours. Je sais que cela peut sembler étrange, voir dur, mais c’est ainsi que ma vie est menée.
Oui, je suis solitaire. Indépendante, casanière, marginale, autonome, débrouillarde. Plein d’adjectifs plus ou moins valorisants qui expliquent mon isolement. Mais le lycée est bientôt terminé. À la fin de l’année, nous avons notre examen final. L’acquisition de ce diplôme signera la fin d’une longue et laborieuse période, mais surtout ce sera le laisser passer pour un nouveau chapitre, dans lequel je fonde beaucoup d’espoirs.
Je n’ai pas encore déterminé ce que je compte faire l’année prochaine, j’ai quelques idées, mais rien de concret pour le moment. La seule chose que je sais, c’est que je n’ai jamais eu vocation de rester dans cette ville. Je vais être majeure dans quelques mois, il est donc normal que j’envisage la suite des évènements.
Une légère brise glaciale caresse ma nuque et s’introduit sous mon pull, s’attardant le long de ma colonne vertébrale. Il commence à se faire tard, et le retour en vélo sous ce froid et la nuit ne m’enchante vraiment pas.
Je traverse la cour principale et pénètre dans l’enceinte de l’école. Ancien couvent, cet immense bâtiment a été rénové pour pouvoir accueillir des salles de classe, une cantine, une grande bibliothèque, et de nombreuses salles de travail, entre autre, tout en gardant de son « charme originel ». Si charme on trouve, bien évidemment. Par conséquent, les vitres sont vieilles, souvent abîmées, les murs en pierre froide, les portes imposantes et lourdes et les allées sombres.
Après être pénétré dans le couloir principal qui me permettra d’atteindre la sortie, j’accélère le pas. Je sens mon téléphone vibrer. Sans grande surprise, c’est un message de ma sœur, Clémence. Elle cherche à savoir dans combien de temps je serai à la maison. Je n’ai même pas besoin de lui demander la raison de son message, je sais déjà que c’est ma grand-mère, très anxieuse et légèrement surprotectrice, qui l’a missionnée. Je me décide néanmoins de lui répondre, quand soudain, concentrée sur mon téléphone, je me heurte à quelqu’un, si violemment que j’en tombe sur les fesses, en poussant un léger cri de surprise.
- Oh ! déclare une voix masculine que je ne connais pas.
Je relève la tête vers mon interlocuteur, découvrant ainsi un jeune homme, certainement un terminal ou alors un étudiant, ancien élève du lycée. Ses cheveux assez courts, légèrement plus longs sur le dessus de la tête, sont bruns, mettant en valeur un regard malicieux, très doux, qui illumine son visage. Je n’ai jamais vu des yeux d’un bleu aussi clair.
- Je suis sorti sans faire attention, je suis désolé.
Il s’accroupit pour m’aider à ramasser les quelques affaires qui m’ont accompagnées dans ma chute. Encore un peu sonnée, et légèrement humiliée, je ne réponds pas tout de suite. Il me tend une main pour m’aider à me relever.
- Euh… non, non ne t’inquiète pas ! Je ne regardais pas non plus… merci, je lance, en me remettant sur mes jambes, en m’aidant de sa main.
- Je ne t’ai pas fait mal ?
Sa voix est assurée, avec un léger accent que je ne reconnais pas. La mienne, en revanche, doit être à peine audible et peu confiante, encore sous le coup de la surprise. Cependant, maintenant que je suis debout, face à lui, je me rends compte de sa grandeur, mais surtout de sa carrure : il doit faire près d’un mètre quatre-vingt-dix, puisqu’il me dépasse de deux têtes. Ses épaules sont très marquées, soulignées par sa veste en daim noir et ses jambes sont longues, dessinées par son pantalon légèrement slim et ses baskets neuves de marque.
- Non… non ça va. J’ai surtout été surprise. Et toi ?
- Absolument pas. Je suis sorti trop rapidement, je cherche le bureau des professeurs pour rencontrer mon prof principal, mais c’est un labyrinthe ce bâtiment.
Un nouveau ? Il n’est pas au bout de ses peines s’il se perd déjà dans le couloir principal. Il ne semble pas âgé, pourtant je suis étonnée d’entendre que c’est un lycéen : je lui aurais donné un peu plus que dix-sept ou dix-huit ans.
- Tu fais ton entrée prochainement ? je demande, ma curiosité étant piquée.
- Oui, ma sœur et moi, on commence demain, avoue-t-il, avec un léger sourire.
Commencer en plein mois de janvier, ce n’est pas commun.
- Si tu veux, je te montre où c’est ? C’est juste à côté.
- Je suis tellement perdu que je ne vais pas te dire non, enfin si cela ne te dérange pas ?
Je lui fais un petit sourire pour lui signifier qu’il peut me suivre et je me dirige vers la salle des professeurs, dans un silence un peu gênant, qu’il décide de rompre.
- En quelle classe tu es ?
- Je suis en dernière année et toi ?
- Je poursuis aussi ma terminale.
- Arriver en cours d’année, et terminer le lycée dans un établissement que tu ne connais pas, c’est donc cela le courage ?
- Hum… je n’ai pas vraiment eu le choix. Et puis, je n’attache pas vraiment d’importance à ces choses aussi formelles. Mais hormis tout cela, bien évidemment que je suis courageux, me répond-il, avec un sourire malicieux et un regard en coin.
Je camoufle un rire discret. Un rire sincère, avec une pointe de moquerie, car une partie de moi trouve cet homme légèrement arrogeant.
- Eh bien Monsieur Courage, voici la salle que tu cherchais tant !
- Ah, je te remercie ! Je peux donc te dire à demain ?
- Euh… oui, enfin, si on se croise, bégayai-je, le rouge aux joues.
Je lui fais un léger signe de la main, avant qu’il ne rentre dans la salle. Une entrée au milieu de janvier, avec les examens de fin d’année, je me permets d’insister sur la notion de courage.
Il n’empêche que cette rencontre fut sympathique. Dommage qu’il n’y aura certainement aucune suite. Non pas que je doute de le croiser, mais je sais d’avance qu’il saura se trouver des amis rapidement, et l’image de cette discussion fortuite s’évaporera comme neige au soleil. Certes, ai-je trop d’a priori, mais je pense qu’il rentrera parfaitement dans le moule du lycée. Je pourrais presque prédire qu’il sera ami avec des sportifs. En tout cas, d’ici vingt-quatre heures, il aura compris que je ne fais pas partie de leur monde, et peut-être m’accordera-t-il un regard gentil au début, mais très vite cela s’arrêtera rapidement.
Je vous ai déjà parlé de ma solitude ?