Premier Chapitre
«We are rats in cage. Suicide a gogo !»«Nous sommes des rats dans une cage. Suicide à gogo !»
Frankie Goes to Hollywood
Chapitre Un :
Où il est question du jour où j’ai à coup sûr battu le record du monde d’apnée de Stéphane Misfud… 11 minutes 35 secondes… me demandant encore comment je me suis retrouvé dans une telle embrouille.
Pour battre un record, il faut un entraînement intensif, quotidien, une équipe qui vous suit pas à pas, une abnégation totale, un peu de talent, une pincée de chance et un mental d’acier, car vous allez vous retrouver seul face à la mort. C’est difficile de se lever chaque matin en se disant qu’il faut se concentrer encore et encore, mettre cette combinaison et plonger, encore et encore… gagner quelques secondes encore et encore…
Ma technique était beaucoup plus simple, un colosse de deux mètres m’a explosé la pommette d’un coup de coude, puis m’a asséné un coup de boule, mais je n’en suis plus vraiment certain. Il m’a enchainé avec un coup de pied sur le côté du genou qui m’a fait fléchir, puis j’ai senti une magnifique clef de bras bien douloureuse. Enfin, une main immense m’a pris par les cheveux et m’a plongé la tête dans sa baignoire remplie d’huiles essentielles, de sels, de perles et de cubes de bains pour un véritable moment de plaisir et de détente ! J’ai même distingué, tout au fond, un galet effervescent qui parfumait délicatement cette agréable mixture dans laquelle j’allais sûrement mourir noyé : un moment de pur délice ! J’aurais été totalement déçu que mon plan, digne de Simplet, fonctionne. Il a dû me voir venir à des kilomètres alors que moi j’ai juste eu le temps de humer son parfum : « Sauvage » de Christian Dior. Ça lui seyait comme un gant : classe et sauvage. Quoique ? Souvent, un parfum finissait un look, une personnalité, là, c’était tout le contraire. C’était lui qui sublimait le parfum ! Tout à fait, dans « Sauvage », malgré la croyance populaire, il n’y avait pas d’extrait de transpiration de Johnny Depp ! J’avais juste l’impression que c’était son odeur naturelle. Il aurait pu sentir l’ours, le loup voire le chacal, non, son odeur animale était magnifique, il touchait le nirvana. J’étais totalement frustré, car la tête dans l’eau, je trouvais qu’on entendait très mal la musique. J’étais honoré d’avoir découvert que nous avions le même penchant musical. Quelle personne de gout ! Quand je suis entré dans ses appartements, les violons du Nessun Dorma caressaient le fond de l’air. J’ai tout de suite compris qu’il fallait que je rebrousse chemin, mais, inconscience, quand tu nous tiens, je me suis jeté dans la gueule du loup. C’est bizarre, quand on se fait éclater la tronche avec de la musique classique et la puissante voix de Pavarotti, c’est plus beau, plus lent, c’est presque du « Slow Motion ». J’avais l’impression d’être dans un film, mais ça ne faisait pas moins mal ! Lorsqu’il m’a plongé la tête dans sa baignoire, j’ai juste eu le temps d’entendre le célèbre ténor nous crier :
Quando la Luce splenderà !
Ed il mio bacio scioglierà il silenzio Che ti fa mia.
Il nome suo nessun saprà
E noi dovrem, ahimè, morir, morir.
Dilegua, o notte! Tramontate, stelle !
Tramontate, stelle!
All'alba vincerò!
Vincerò! Vincerò !
Quand la lumière resplendira !
Et mon baiser brisera
Le silence qui te fait mienne !
Nul ne saura son nom !
Et nous, hélas, devrons mourir ! Mourir !
Dissipe-toi, ô nuit !
Ô étoiles, couchez-vous !
Ô étoiles, couchez-vous !
À l’aube, je vaincrai !
Je vaincrai ! Je vaincrai !
Bon, les étoiles se consumaient dans cette eau trouble et j’espérais que c’était à moi que s’adressaient les conjurations de Luciano… car un de nous, seulement, à l’aube vaincra ! Et pour l’instant, c’était très mal barré pour moi. On va dire que j’aime bien partir avec un handicap. Mais dans cette histoire, les handicaps, c’était moi qui les collectionnais. Pourtant, physiquement je n’avais rien à lui envier. On faisait à peu près la même taille, à quinze centimètres près. On avait à peu près la même carrure, à peu près la même allonge, à peu près la même morphologie. Okay, il était à peu près plus exceptionnel que moi. Lui, il était tout droit sorti d’un roman de Tolkien :
« Les tresses de sa sombre chevelure n’étaient touchées d’aucun givre ; ses bras d’albâtre et son visage clair étaient lisses, sans aucun défaut, et la lumière des étoiles se voyait dans ses yeux brillants, gris comme une nuit sans nuages… »
Lorsque j’étais enfant, on disait :
— Ouais ! Il parait que quand tu crèves, tu vois ta life défiler devant tes yeux. Si un jour ça t’arrive… c’est un signe… un très mauvais signe.
Il faut croire que dans le doute, mon cerveau s’était mis en mode « Défilement de ta life », au cas où. Au cas où ? Je me reconnaissais bien là. Merci pour la confiance qu’il m’accordait. Même lui, mon meilleur allié, doutait. Le plus triste c’était qu’une trahison venait toujours de votre plus grand général. Je déroulais dans ma tête des souvenirs flous. Ils étaient peut-être le fruit de mon imagination associé à une vieille photo d’album. En tout cas, j’étais un beau bébé ! Mais comment en étais-je arrivé là ? Les fils de ma vie s’enchevêtraient dans l’espace-temps. Comment un lieu ou une action passée vingt ans plus tôt pouvaient-ils avoir des répercussions aussi considérables vingt ans plus tard ?