Premier Chapitre
À son réveil, Priam poussa un profond soupir en direction du plafond brunâtre de sa chambre. Il ne se rappelait même plus quand le sommeil avait finalement pris le dessus… Probablement lorsque le mélange d'appréhension et d'excitation qui lui nouait les entrailles depuis la veille s’était enfin adouci. Mais pour combien de temps ? Deux, trois heures ? Peu, trop peu en une journée aussi importante.Frottant ses yeux du bout des doigts à la manière d’un enfant tiré hors du lit, Priam finit par repousser sa fine couverture. Lentement, à gestes mesurés, hésitants… Ce n'était pourtant pas l'envie qui manquait. Six ans qu’il attendait ce jour. Six ans d'apprentissage intense, de rêves, d’ambitions, de sacrifices… Avec cette journée comme point culminant. Celle qui déciderait de tout. Celle qui façonnerait son destin. Hors de question de laisser une mauvaise nuit la gâcher.
De toute façon, le choix était déjà fait. Un choix qui ne dépendait plus de lui depuis de longs mois. Ce ne seraient pas ses doutes, aussi légitimes soient-ils, qui pourraient y changer quelque chose. Plus maintenant. Et si ce jour devait vraiment marquer le début de sa nouvelle vie, mieux valait l'entamer de la meilleure manière possible…
Un grondement sismique, si fort qu’il faillit en chuter de sa couche, l’arracha soudain à ses pensées. Le souffle coupé, mais désormais complètement alerte, Priam perçut des cris enthousiastes à proximité. Pas exactement la réaction habituelle face à une telle détonation, mais lui-même ne put retenir son sourire plus longtemps. On dirait qu'il n'a pas fait les choses à moitié, une fois de plus, songea-t-il dans une irritation amusée en se levant enfin. Après tout, lorsque Luka l'avait prévenu la veille vouloir fêter leur dernière nuit de novice à sa façon, il aurait dû le voir venir. Que ce soit en termes d'intrépidité, de fantaisie, de popularité ou de vantardise, son meilleur ami le surpassait aisément. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il se donnait beaucoup de mal pour conserver cette impression…
Plus intrigué que véritablement agacé, Priam commença à s'habiller au rythme des hourras de ses camarades, que filtraient difficilement les épaisses cloisons de la pièce. Chancelant à moitié, il ramassa aussi vite que possible les différentes pièces de son uniforme, symbole de son rang de novice. À la fin de la journée, jamais plus il ne pourra caresser la douce étoffe du vêtement. L'uniformisation des étudiants n'aura plus lieu d'être ; chacun d’entre eux sera amené à choisir sa propre voie, avec la tenue qui l'accompagnait.
Dommage…, souffla-t-il en promenant ses longs doigts pâles autour de l’écusson brodé sur sa veste, au niveau du cœur. L'Épée du Levant, emblème de la confrérie des Lames, l'organisme le plus influent et le plus respecté de tout le système planétaire. Comme le contact avec ce dessin, cette épée miniature dressée vers les cieux, allait lui manquer… Il symbolisait à lui seul tout ce qui lui manquait, tout ce à quoi il avait toujours aspiré. Force, courage, prestance… Des qualités auxquelles aucun enfant, quelle que soit la maturité qu’on lui prêtait, ne saurait résister.
Priam ne faisait pas exception. Aussi loin qu'il s'en souvienne, intégrer la mythique confrérie avait toujours été son unique ambition. Il lui avait suffi de les voir patrouiller dans les rues, l'armure étincelante, leurs armes iconiques accrochées à leur ceinturon, pour directement les considérer comme ses modèles. Comme une référence absolue. Partout, les Lames étaient célébrées en tant qu’exemples d’honneur et de vertu. Ils étaient les protecteurs du peuple, les garants de la paix et de la prospérité. Des héros, et des légendes.
Alors comment un simple gamin originaire des bas quartiers aurait-il jamais pu ambitionner rejoindre leurs rangs ? De toutes les formations existantes au travers des trois mondes qui composaient le système Beryite, celle des Lames était de loin la plus sélective. Mais au moins avait-elle le mérite d'être ouverte à tous. Du moins, tant que les candidats remplissaient les très nombreuses conditions nécessaires à l'intégration… Avec, comme ultime exigence, le lien avec l'Énergie, la source mystique du pouvoir des Lames. Un pouvoir qui avait bâti leur renommée par-delà les frontières, suffisant ainsi à forger une paix durable et égalitaire.
En réalité, il n'existait en fait aucun lien spécifique avec l'Énergie. Selon la grande majorité des spécialistes sur le sujet, celle-ci influençait tous les êtres de manière impartiale, quels que soient leur âge, sexe ou espèce. Seule la façon dont les êtres en question parvenaient à interagir avec elle était susceptible de varier. Et au-delà d'un certain seuil de maîtrise, ils en venaient ainsi à acquérir des capacités uniques, propres à chaque individu.
Un tel lien se révélait finalement extrêmement rare, compte tenu de la supposée influence de l'Énergie sur l'ensemble de la population. Une personne sur mille environ. Qui commençait à manifester son « don » autour de ses douze ans, en moyenne. Soit l'âge considéré comme la fin de l’enfance… ainsi que la limite d’inscription pour les aspirants-Lames. Mais même une fois cette inévitable condition remplie, le chemin vers le succès s'annonçait aussi long que tortueux au cours de ces six années d'études…
– Encore occupé à verser une petite larme ?
Priam sursauta de surprise, ce qui ne fit qu’accentuer le sourire railleur de son ami. Les oreilles rougissantes, le jeune homme se jeta sur ses vêtements restants pour les rassembler, comme s'il s'agissait des preuves d'une scène de crime. Sans perdre son sourire, le nouveau venu vint lui prêter main-forte.
– Alors, ma « célébration » t'a plu ? demanda-t-il d’un air sournois en attrapant d'un pantalon défraîchi par le temps. Je ne t'ai pas vu te mêler à ma foule en délire. Ils avaient l'air sincèrement impressionnés, je te jure !
– Dommage que ce ne soit pas eux que tu doives impressionner…, répondit distraitement Priam en récupérant le pantalon.
Il n'y était pas censé avoir la moindre pudeur entre les deux camarades, eux qui avaient pratiquement grandi ensemble du temps où le nombre de candidats se comptait encore par milliers. Pourtant, Priam continuait à éviter son regard avec embarras. Il n'avait jamais eu la même aisance que Luka à gérer une situation imprévue.
– Le sort en est jeté, mon ami. Il n'y a plus rien que je puisse faire pour en changer l'issue… D'ailleurs, puisqu'on en parle, j'ai peut-être été encore plus éblouissant que je ne le pensais pendant les tests de sélection. Il paraît que la Première Lame en personne va venir à la cérémonie tout à l'heure…
Cette simple phrase suffit à purger toute émotion négative de l'esprit du jeune homme. L’angoisse, la gêne, la pression… Tout s’effaça soudain, pour ne plus laisser place qu'à un irrépressible enthousiasme.
– Tu… tu es sûr ? balbutia-t-il, surexcité. Waouh ! D'habitude, il ne se déplace que pour les novices andons, pas les humains…
– Et tu ne sais pas la meilleure ; il n'y sera pas en tant qu’invité, mais comme formateur.
Si la première déclaration avait suffi à le bouleverser, celle-ci pétrifia littéralement Priam de stupeur. Il lui semblait presque que son cerveau surchauffait, tandis que l'information et toutes les possibilités qu'elle induisait se bousculaient au travers.
– Tu veux dire que… la Première Lame va prendre un initié ?! L'un d'entre nous ? Mais ce n'est plus arrivé depuis des lustres !
– Quoi de plus normal ? ricana Luka. Je n'y étais pas ! Allez, dépêche-toi un peu, tu ne veux quand même pas manquer le début des festivités…
Galvanisé, le novice ne tergiversa pas plus longtemps devant sa pile de vêtements. C'est à peine s'il prêta attention à ce qu'il enfila ensuite, et il fallut l'intervention avisée de son ami pour qu'il ne se rende pas à la cérémonie avec des chaussettes sur les doigts. Enfin prêt, il passa encore de longues secondes devant son miroir à vérifier la perfection de ses cheveux cendrés, arrangés à la coupe militaire.
– Ce n'est pas un défilé de mode…, finit par s'impatienter Luka. Accélère, ou nous arriverons bons derniers !
Sans répondre, le jeune homme quitta au pas de course sa cellule, forçant son camarade à se précipiter derrière lui. La Première Lame…, fantasmait-il, répétant la formule à chaque tournant. Le grade le plus élevé auquel pouvait prétendre une Lame. Ceux qui y parvenaient étaient ensuite considérés comme de véritables mythes, en plus d’incarner une importance symbolique non négligeable de leur vivant. En effet, le chef des Lames était choisi en fonction de sa force, de sa sagesse et de sa dévotion. Des éléments qui ne pouvaient que regrouper des êtres d’exception.
Partout où ils se rendaient, ces légendes vivantes étaient accueillies tels des messies, mais la folie qu'ils inspiraient au peuple n'était en rien comparable à celle qui leur était réservée au sein de leur confrérie. Parmi les Lames, élèves comme formateurs, beaucoup n'avaient jamais eu le privilège d’en rencontrer autrement que pour recevoir une nouvelle affectation. Alors avoir l’honneur d’être formé par l'un d'eux… C'était presque équivalent à un acte de succession. Après tout, qui serait plus apte à prendre la suite de la Première Lame que celui ou celle qu'il avait personnellement entraîné ?
Priam n'était d’ailleurs pas le seul novice à avoir saisi l'enjeu de cette supposée présence. Une fois que Luka et lui aient rejoint le reste de leurs camarades au réfectoire, seuls deux mots filtraient du brouhaha ambiant : « Première Lame ». Et à première vue, tous espéraient et estimaient pouvoir devenir l’heureux élu.
– Désolé pour toi, marmonna-t-il joyeusement à son ami, mais il faut croire que tu ne sois pas longtemps resté la vedette de la journée !
– Que tu dis ! Cela changera vite lorsque la Première Lame sera en face de moi pendant la cérémonie… « Luka, tu es le seul capable d'amener grandeur et prospérité à notre civilisation, sois mon initié » !
Priam éclata de rire face à cette imitation aussi ridicule qu’improbable. Mais il connaissait trop bien son camarade pour ne pas reconnaître l’ambition dissimulée derrière la dérision. Or, Luka avait beau être le meilleur dans son domaine – à savoir attirer l'attention – il était beaucoup trop insouciant pour une telle responsabilité. Objectivement, par son sérieux et son engagement, Priam se considérait comme le candidat qui s'imposait. Un avis que ne partageait manifestement pas son compagnon, lequel réagit avec une surprise sincère à son expression pleine d’assurance.
– Quoi ? s'inquiéta-t-il. Tu ne me crois pas ? Tu estimes plus probable que ce soit toi ?
L'intéressé se retourna vers lui en un réflexe, légèrement vexé.
– Et pourquoi pas ? Mes évaluations ont toujours été du même niveau que les tiennes, si ce n'est meilleures.
– Oui. En histoire, en calcul et en langues… Pour ce qui est de la maîtrise de l'Énergie, des leçons de combat ou de l'escrime, excuse-moi de te le dire mais… tu as toujours été en dessous des autres.
Piqué au vif, Priam rougit de fureur… Avant de prendre congé sans un mot. Il n’avait toujours pas décoléré en rejoignant le buffet, à l’autre bout de la salle. Piochant au hasard parmi la sélection proposée, il alla ensuite aussitôt se réfugier le plus loin possible des autres novices. Par chance, c’était la journée parfaite pour un tel confinement ; les autres générations d'étudiants ayant déjà débuté leurs programmes, il n'avait pas à devoir supporter leur présence puérile.
Un exemple parmi tant d’autres de situations que le jeune homme n'allait pas regretter. Comme il l'avait appris au cours de ces dernières années, le calme et le silence avaient tout de concepts étrangers une fois entouré de plusieurs milliers d'enfants. Car si chaque génération de novices diminuait drastiquement au fur et à mesure des épreuves, pour finalement se réduire à une simple dizaine en fin de cursus, la première année se distinguait toujours par une foule d'aspirants.
Voilà comment une simple poignée d'adolescents en venaient à privatiser la gigantesque salle. Pourtant, bien que ce soit le tout dernier moment qu'il allait passer en la compagnie de ses camarades, Priam leur préféra la solitude. Un aspect qui n'avait pas changé, même après ces six années de cohabitation. De toute manière, les Lames n'encourageaient pas réellement le travail d'équipe… Seules l'excellence et la perfection individuelles y étaient recherchées. Une règle que le jeune homme n'avait pas tardé à assimiler… Et qui avait grandement contribué à le maintenir en jeu au cours des sélections en dépit de ses faiblesses évidentes. Il ne pouvait y avoir réellement de place pour la camaraderie ou l'entraide avec un taux de réussite aussi faible. Dans ces conditions, difficile de croire que lui, le perfectionniste taciturne, aurait pu se lier d'amitié avec l'un des rares novices réellement populaires parmi ses pairs.
Beau, talentueux, vantard et descendant d'une riche famille possédant sa propre entreprise transplanétaire, Luka incarnait son parfait opposé. Peut-être était-ce pour cela qu'ils s'étaient si bien entendus, s'entraînant mutuellement de la première année de noviciat au statut d’initiés Lames. Les connaissances pour l'un, la maîtrise pour l'autre. Un tandem quasi parfait. Et pourtant, voilà que son meilleur ami affichait ouvertement son scepticisme à l'idée qu'il soit doté du moindre talent…
Ruminant piteusement de sèches galettes noires, Priam s'autorisa à relever la tête de son plat au bout de longues minutes. Il repéra la crinière lumineuse de son ami au centre du réfectoire. Preuve de sa popularité, Luka n'avait eu aucun problème à rallier un groupe d’autres novices. Hilare, il échangeait joyeusement avec eux, mentionnant probablement à nouveau son glorieux exploit du réveil, ou pariant sur le choix du futur « Premier Novice »…
Cela n'aurait pas dû l'atteindre aussi profondément, voir son ami s'amuser avec d'autres élèves. Après tout, ils allaient quoi qu'il arrive se retrouver séparés d'ici la fin de la cérémonie de répartition. Mais le jeune homme tenait réellement à cette amitié, la seule véritable relation qu'il avait su établir de sa courte vie. Même avant l'initiation, il n'avait pas réellement eu d'amis, proches ou non, tandis que l’unique sentiment que son frère aîné ait jamais manifesté à son égard fût un mépris constant.
Aussi, alors qu'il se serait attendu à savourer ces dernières minutes d'autonomie, Priam accueillit avec soulagement l'arrivée d'un messager tout de blanc vêtu, l’Épée du Levant fièrement affichée sur sa poitrine.
– Novices, l'heure est venue ! annonça-t-il avec grandiloquence. Suivez-moi, la cérémonie de répartition est sur le point de commencer.
Bien qu’il soit tout proche de l'émissaire, le jeune homme prit son temps avant de commencer à bouger. Ce n'était pas dans ses habitudes d'attirer l'attention en tête de file. Au contraire, il alla jusqu'à attendre que ses camarades l’aient dépassé pour enfin leur emboîter le pas. Du moins, c'est ce qu'il crut jusqu'à se retrouver nez-à-nez avec Luka.
– Tu t'es trompé d'endroit, grinça immédiatement Priam. Pour te faire remarquer, tu ferais mieux d'aller devant. Derrière, c'est réservé aux ratés.
– Arrête un peu… D'accord, je me suis mal exprimé ; nous savons tous les deux que tu as des qualités. Tout ce que je voulais dire, c'est que ce ne sont peut-être pas celles recherchées par la Première Lame… Il recherche des muscles, pas un cerveau !
– Comme toi, c'est ça ?
– Bien sûr ! répliqua Luka avec humour. Un idiot plein de suffisance bon qu'à hurler des ordres sans avoir à les comprendre ! Même pas fichu de se rendre compte du potentiel de son meilleur ami… Admets qu'il tient sûrement là le profil idéal !
Un léger sourire germa sur le visage de Priam. Il n'y avait bien que son vieux complice pour faire preuve d'autant de vantardise et de dérision en s’excusant.
– Dans ce cas, j'espère que ton futur formateur saura l'exploiter à son maximum…
– J'imagine qu'on ne va pas tarder à le découvrir, répondit Luka dans un sérieux qui n'avait plus rien de simulé.
Une tension née d'une seule et unique vision : la gigantesque porte que venait de franchir le messager. Si celui-ci avait à peine sourcillé devant l’édifice, tous les élèves marquèrent un temps d'arrêt. Pour eux, ce n'était pas simplement un accès à la salle suivante, mais une frontière entre deux statuts : novices et initiés. Jamais jusqu'alors ils n'avaient été autorisés à se rendre de l’autre côté. Aussi, armée d'une détermination sans précédent, ce fut le souffle coupé, le port altier, et la démarche assurée que la bande de novices entreprit de la franchir.
Fermant la marche aux côtés de Luka, Priam attarda son regard inquisiteur sur la frontière en question. Vue de leur côté, la porte, quoiqu’énorme, leur avait toujours paru simple et rustique. Un élément de décor basique servant à symboliser le passage à l'initiation des novices. Ce n'était plus le cas maintenant qu'il la voyait en entier. Véritable monstre métallique, elle était large d'un bon mètre en plus de sa longueur démesurée. À croire qu'au lieu d'un sanctuaire de guerriers protecteurs, c’était une partie du trésor planétaire qui se dissimulait derrière…
Mais toutes ces interrogations s’évanouirent bien vite lorsqu'il reporta son attention devant lui. Le « Temple », comme le surnommaient amicalement les novices en raison de son accessibilité farouchement contrôlée et des nombreux secrets qui l'entouraient, n'avait jamais aussi bien porté son nom. Finalement, comme put le constater Priam, les dimensions de sa porte d'entrée n'avaient rien d'aberrantes comparées à celles du lieu lui-même. Sertis aléatoirement de jade, de saphir, de béryl et d'onyx, les murs instillaient une lueur superbe et mystérieuse tout autour d'eux, illuminant la salle par leur éclat. Et quelle salle… Sa maison entière aurait pu aisément y tenir, sans compter la magnificence des quelques tapisseries qui la décoraient. Quatre, pour être précis. Chacune dépeignant en son centre un membre de l'une des factions spécifiques des Lames.
Estomaqué par le spectacle, Priam manqua de remarquer l'arrêt de la file, heurtant de plein fouet l’élève qui le précédait. Loin de s'en excuser, il dévorait déjà des yeux la draperie plus proche, aux détails aussi sombres qu'intrigants. Les Chimères, reconnut-il après un petit temps d'hésitation. La branche la plus énigmatique de la confrérie, dont les membres étaient directement recrutés au cours de leur formation, et ce indépendamment de leurs propres choix. Une sorte de promotion, en somme. Qu’il était impossible de refuser…
Cependant, en dépit de leur célébrité, aucun civil ne connaissait le rôle exact de ces guerriers de l’ombre. Tout le contraire des trois autres catégories de Lames, dont le travail et les services étaient loués de tous bords. Mais même parmi celles-ci, une se détachait du lot. Par la noblesse, l'héroïsme et le courage exemplaires qui caractérisaient chacun de ses membres. Celle dont presque l’intégralité des novices rêvaient de porter un jour la glorieuse armure dorée ; les Ajax.
Sur ce point, Priam ne différait pas des autres élèves. Lui qui s'était toujours considéré comme une personne anticonformiste devait bien avouer que, comme tous les autres, c'était à la seule vue de la parade flamboyante des Ajax que son rêve de les rejoindre avait pris forme. Dans le vocabulaire commun, les trois autres catégories étaient assimilées aux Lames en tant qu'égales, mais pour un novice normalement constitué, un seul choix s'imposait : devenir un Ajax.
Et c'est là qu'il le vit. La Première Lame. Éblouissant dans son uniforme impeccable, sa seule présence éclipsait l'ensemble des formateurs qui l'entouraient. Âgé d'une cinquantaine d'années, il incarnait le parfait équilibre entre force et sagesse. Les mains liées dans le dos, il jugeait de son regard fixe et intransigeant les novices qui lui faisaient face, son légendaire bandeau retenu parmi ses cheveux gris coupés en