Premier Chapitre
Je suis trempée et devrait être gelée, pourtant je ne ressens rien, si ce n’est de la colère. Je viens de m’échapper de ce repas de famille en plein milieu de l’apéritif, pour trouver refuge dans les rues de Londres, sous la pluie. J’aime la pluie. Pas celle qui crachouille pour vous embêter, non, celle qui est démentielle ! Cette pluie qui vous trempe jusqu’aux os en une fraction de secondes. Je m’y sens en sécurité. J’ai l’impression qu’elle fait barrière à toutes mes idées noires.En tournant la tête devant une vitrine, je peux apercevoir mon reflet. Mes cheveux châtains viennent se coller à mon visage. Je sais que mon corps donne envie à certains, je ne comprends pas vraiment pourquoi. Je me trouve des plus banales ! Je ne suis pas très grande, mais ça ne m’empêche pas de savoir me défendre ! Et oui, c’est vrai, j’ai une jolie poitrine et je suis fine, mais je ne fais rien pour plaire. Je ne me coiffe que d’une queue de cheval et je ne me maquille jamais. Certains me disent que mes yeux bleus sont doux, mais ils ne le sont pas du tout ! Ils sont électriques et froids. Ils me servent bien quand j’ai besoin d’envoyer un regard foudroyant à un mec trop collant. Ce qui arrive régulièrement... J’ai vingt-cinq ans, mais parfois j’ai l’impression d’être une vieille fille tellement je veux rester seule. Je secoue la tête en m’imaginant à soixante ans, entourée de chats et de napperons.
Marcher. Voilà mon seul objectif pour le moment. Marcher pour oublier, pour ne plus penser, pour me déconnecter de la réalité. Cette putain de réalité qui vous entraîne vers le fond sans vous laisser prendre respiration. Je n'en peux plus. Ma seule issue pour me sortir de ce fichu dîner, a été de fuir une fois de plus. Rien à foutre de ce qu'ils ont pu penser à l'entente de mon excuse, assez bidon je dois l'avouer, mais j'étais tout simplement en train d'étouffer dans cette baraque. Une sensation oppressante de laquelle il fallait que je me dégage. Alors quand ils ont commencé à parler de lui, là non, ce n'était plus possible ! C'est ma famille mais j'ai l'impression de ne plus en faire partie.
Bref, voilà où je me retrouve encore, arpentant les rues sous cette pluie battante et ce ciel noir sans étoiles.
- J'ai besoin de boire un verre !
Voilà que je me mets à parler à haute voix maintenant... Arrivée dans mon quartier, je vois le supermarché encore ouvert. Bénédiction ! Je me retrouve vite dans le rayon alcool. Vodka? Rhum? Vodka?
- Prenez les deux…
- Pardon ? Dis-je en sortant de ma réflexion.
Je me retourne donc, et là... C'est quoi cet apollon ?! Homme brun. Cheveux bouclés qui lui tombent un peu sur le visage. Mèches dans tous les sens, mais attention…! Le genre super bien coiffé ! Il porte un smoking bleu marine qui doit valoir dans les cinq-mille livres, avec un foulard couleur crème posé sur sa nuque et qui retombe le long de son torse. Torse, soit dit en passant, bien musclé de ce que je peux deviner à travers ses habits. Quant à son visage, je n'en vois que le profil, son regard étant rivé sur son I-Phone dernière génération. Mais je peux tout de même apercevoir ses lèvres roses et charnues, ainsi que son nez aquilin.
- Le rhum et la vodka, me sort-il d'un ton assez froid sans décrocher le regard de son écran. Prenez les deux, vous hésitez depuis tout à l'heure.
- Oui, c’est une bonne idée.
- Ceci dit, ne les mélangez pas, ce serait dommage de voir ce joli visage au dessus d'une cuvette. Et vu votre corps frêle, vous ne devez pas avoir une bonne tenue à l'alcool... Me lance-t-il avec un sourire en coin.
Le genre de sourire qui m’informe qu'il se fout de ma gueule ! Il tend enfin la main pour prendre une bouteille de champagne hors de prix alors que je l'assassine du regard, mais il ne voit rien.
- Vous ne me connaissez pas, je vous serais donc gré de garder vos suppositions pour vous ! Allez plutôt siroter votre champagne avec une blonde siliconée et laissez les gens tranquilles !
Tiens, prends ça l'apollon ! Ce n'est pas le moment de venir me chercher, aussi beau sois-tu.
- Les blondes siliconées ne sont pas tellement ce que j'apprécie le plus, et je vous ferai remarquer que vous supposez tout autant que moi...
Il se tourne enfin, et malgré la colère qui m'habite, je ne peux faire autrement que de me plonger dans ses iris verts émeraude. Son regard est tellement perçant que j'en perds mon souffle.
- Un problème ? Finit-il par demander après mon silence.
- Euh...Non... je...
En plus d'avoir perdu mon souffle, j'en ai perdu ma répartie et c'est bien une première. Super !
Nos regards sont toujours accrochés, et quand une fois de plus je vois un sourire feindre sur ses lèvres, je me rends compte que mon humiliation a assez duré. Je prends les deux boissons qui m'ont amenées à cette situation et lui dis le plus sèchement possible :
- Bonne soirée !
- Elle le sera grâce à vous…
Et je l’entends rire sous cape… Alors comme ça je l'amuse ?! Un regard noir dans sa direction le calmera un peu. Ou pas, car il a déjà reporté son attention sur son téléphone.
Une fois mes articles payés, je file dehors et retrouve la pluie et ses gouttes libératrices. Sauf que l'eau a beau glisser le long de mon corps, de mes tempes, mon cerveau ne cesse de penser. Cet étranger me reste en tête, que ce soit le dessin de son corps ou les mots sortant de sa bouche. J'aurais préféré ne pas le rencontrer. J’étais déjà énervée en rentrant dans ce magasin, mais passons, je suis bientôt arrivée devant chez moi. Une fois installée confortablement dans mon canapé avec mes deux amis Rhum et Vodka, toute cette soirée se fera vite oublier...
- Putain, mais c'est une blague ?!
C'est bien beau de trouver une excuse pour s'enfuir d'un dîner, mais quand cette excuse est de ramener les clés que son colocataire n'a pas, alors qu'en réalité c'est vous qui les avez oublié dans la maison que vous avez fuie... J’ai vraiment l’air ridicule maintenant ! Mais il est hors de question que je retourne chez ma mère !
- Allez réponds… Dis-moi que tu es là…
J'ai beau appuyer, ou plutôt m'exciter, sur cette sonnette, rien n'y fait. Personne à l'appartement. De même pour le téléphone, répondeur...
- Charlie, c'est Lexie... Écoute, je sais bien que tu vas te moquer de moi encore une fois, mais je suis à la porte… Non je n'ai pas mes clés, et oui je sais que ce n'est pas la première fois ! Rappelle-moi vite et surtout, dis-moi que tu es en route pour rentrer. Ou même dans ton lit, mais que tu as juste eu la flemme de te lever pour voir qui était là...
Espoir quand tu nous tiens... Car Charlie ne risque pas d'être dans son lit à cette heure-ci. Non, un vendredi soir il doit faire la fête dans l'une de ces nombreuses boîtes de nuit remplies de filles qui ne cherchent qu’un plan d’un soir. Charlie est ce genre d'homme à ramener qui il veut. Car pour dire vrai, mon meilleur ami, et au passage colocataire, est à tomber ! Il a un corps parfait et sa peau noire fait magnifiquement ressortir ses yeux bleus. Pour parfaire son physique, il entretient un petite barbe de trois jours. Je le connais depuis maintenant sept ans. Nous nous sommes rencontrés à la fin du lycée et nous avons de suite accrochés l'un à l'autre. Nous sommes ensuite partis à la faculté ensembles. C'est tout naturellement durant cette période que nous avons pris un appartement tous les deux. Autant pour échapper à notre famille, que pour continuer nos conneries en binôme. Je parle de lui, mais je ne suis pas une sainte non plus. Bon, je saute moins sur tout ce qui bouge. Surtout depuis quelques années en fait, où plus un seul homme n’a été autorisé à venir dans mon lit. Mais j'aime l'alcool et je le tiens très bien contrairement à ce qu'a pu insinuer Mr Costard tout à l'heure. Mis à part ça, je suis assez solitaire et n’aime pas les soirées entourée de monde. Je me laisse bien entraîner de temps en temps par Charlie à l’une de ses débauches nocturne, mais sans y rester trop longtemps. Une fois qu'il trouve chaussure à son pied, ce qui est assez rapide, il ne prête plus attention à moi et je peux filer avant que l'on ne veuille m'offrir verres et nuit de folie...
Quoi qu'il en soit, je suis toujours dans le même merdier. Enfermée dehors sous la pluie. Au moins elle, elle me tient compagnie, et vu que j'ai du temps à perdre, autant attaquer les festivités ici. Je m'installe donc sur les marches de mon immeuble et sors d'abord la vodka, elle ouvrira le bal. Le rhum ne sera pas en reste pour autant.
- À la tienne ! Dis-je en levant la bouteille au ciel avant de porter le goulot à mes lèvres.
Comme ça j'ai l'air d'une folle, je le sais. Cela ne me change pas tellement à vrai dire. Le regard des gens, franchement, je m'en contre fiche ! J'ai toujours en moi la colère qui bouillonne à cause des deux événements de la soirée, donc que l'on me fiche la paix ! Et de toute façon, le déluge qui tombe a fait fuir tous les passants. Seules les voitures continuent de circuler et m’éclairent le visage de temps en temps.
À force d’envoyer des messages à Charlie, la batterie de mon portable a fini par me lâcher, ce qui me condamne à rester ici jusqu’à ce que mon ami arrive. Je n’ai plus qu’à attendre peut-être plusieurs heures sur ces marches, mais au moins je suis au calme.
À ma dernière pensée, une voiture luxueuse s'arrête sur la chaussée en face de moi et une vitre se baisse. Malgré mes connaissances limitées en matière d’automobile, je dirais tout de même que c'est une Audi A4, sûrement l'une des plus chères de la marque. Le genre de voiture que l’on ne voit pas trop s’arrêter dans le quartier.
- Vous rencontrez un problème ? Me demande-t-on d'une voix rauque et un peu amusée.
Je reconnais immédiatement la voix de Mr-Costard-je-bois-du-champagne-hors-de-prix, mais je peine à le voir avec la pluie. Est-ce que c'est ma fête ce soir ?! Il est assis à l'arrière et attend ma réponse. Alors comme ça, il a aussi un chauffeur…
- Aucun! Dis-je sur un ton glacial.
- Vous êtes pourtant assise sous la pluie, ce n'est pas tellement commode, si ? Et vous n'avez même pas de verre pour vous soûler, il est triste de faire ça à même le goulot...
Bon, reste calme Lexie. Reste CALME !!! Je n'ai pas besoin de m'énerver maintenant, je vais gentiment le remballer et continuer ma petite vie.
- Une fois de plus, je ne vois pas en quoi ça vous regarde ! Je fais bien ce que je veux et où je veux !
Il me faut parler bien fort vu la distance et la pluie qui est assez sonore, pour être sûre qu'il m'entende. Sa voix à lui porte tellement bien qu'il n'a pas besoin de s’égosiller.
- J'ai des doutes sur le fait que vous ayez choisi votre condition. Et effectivement ça ne me regarde pas, mais pour tout vous dire j'ai un peu pitié... Vous voir vous tremper est un joli spectacle, mais il fait tout de même peine à regarder.
PITIÉ ?! PEINE ?! Non mais c'est une plaisanterie ?! Qu'il aille se faire voir ! Là, ça y est, la colère se fait clairement entendre au son de ma voix.
- Vous vous prenez pour qui ?! Parce que vous êtes riche et au sec dans votre berline, vous vous permettez de parler comme ça à ceux que vous ne connaissez ni d'Ève, ni d'Adam ?! Et n'ayez pas d'inquiétudes, la pluie est de bonne compagnie contrairement à vous !
De ce que je peux voir de ma place, c'est une lueur amusée que je perçois dans son regard, mais le reste de son visage est impassible. Il est coriace.
- C'est que vous mordriez en plus… Renchérit-il. Même si vous m'avez l'air bien hostile, je me propose de vous raccompagner chez vous. Au sec, dans ma berline de riche comme vous le dites.
- Ah... je vois. Vous voulez faire votre bonne action de la journée... Il se trouve que je suis devant chez moi et si ça n'avait pas été le cas, j'aurais refusé l'offre. Sur ce, bonne soirée !
- Vous avez donc oublié vos clés... C'est assez concasse et délicieux à voir.
Et là, oui, je le vois son petit sourire en coin. La pluie tombe de moins en moins, donc je le vois bien. C'est suffisant dans tous les cas pour que je me lève en furie, prête à bondir sur ce personnage qui se croit homme de pouvoir ayant tous les droits. Je pose la bouteille de vodka si peu entamée sur les marches, puis je m'approche de lui. Je vois que son expression change, mais en quoi, je ne saurais le dire. Il réajuste son foulard et bloque de nouveau mon regard avec ses prunelles noires. Ou est passé le vert émeraude ? Mais alors qu’il me reste deux mètres à faire, je suis coupée dans mon élan.
- LEXIE !
Charlie arrive en courant, se cachant la tête sous sa veste en cuir, puis se poste en face de moi.
- Désolé, j'ai eu ton message mais la galère pour trouver un taxi !
- Charlie…
- Et j’ai essayé de t’appeler mais tu étais sur messagerie ! Tu vas me tuer toi et ton cerveau défaillant !
- Charlie…
- Je vais te les greffer sur ton front tes clés, là au moins tu ne risqueras pas de les perdre !
- Charlie…
- Et bon sang tu es encore trempée, il faudra que tu me dises ce qui t'attire autant chez cette fichue pluie. Et…
Et... Stop.
- CHARLIE !
Je n'ai pas d'autre choix que d'hurler pour l'arrêter. Il vient de me sortir tout cela à bout de souffle, en partant dans tous les sens et sans se rendre compte que nous n'étions pas seuls. Des phrases courtes et construites, il ne connaît pas tellement.
- Désolée et merci, dis-je en ayant son attention. On peut rentrer maintenant ?
Mon regard est noir et mes poings sont serrés, il se rend vite compte que quelque chose ne tourne pas rond. Il a alors la présence d'esprit de lancer un coup d’œil autour de nous et d'apercevoir la berline à nos côtés. Je ne cherche même pas à regarder Mr-Costard-j'ai-un-chauffeur, mais je sens son regard sur moi. Quant à Charlie, ses yeux s'écarquillent et sa bouche s'entrouvre quand il voit l’homme dans la voiture. Super, il ne manquait plus que ça !
- Bonsoir ? Dit-il à Mr-Costard-j'écoute-les-conversations-des-autres.
- Bonsoir, répond l'autre. Je crois comprendre que vous êtes le sauveur de cette chère Lexie...
- Sauveur, colocataire, meilleur ami... Tout ce que tu voudras. Je m'appelle Charlie Davies.
Il lui tend la main et l'homme lui serre.
- Et tu es ? Ajoute Charlie. On ne se connaît pas, sinon je m'en serais souvenu et Lexie ne m’a jamais parlé de toi.
C'est parti… Ah oui, parce que j'ai oublié de vous dire, Charlie est bisexuel. Les mecs ils les aiment autant que les nanas, même s’il ramène plus de gonzesses à la maison car c'est plus facile à attraper. Donc bien entendu, il ne pouvait que baver devant Mr-Costard-je-suis-un-apollon.
- Charlie, on y va s'il te plaît, je me trempe là.
Je lui accroche le bras en espérant le ramener à la réalité, mais rien à faire.
- Oh ça va, t'aime l’eau et il ne pleut presque plus. Puis tu n'es pas très polie là Lexie...
Il me dit tout cela sans détourner le regard de l’homme dans sa voiture. En parlant de politesse, le fait qu'il le tutoie c'est tout lui, mais là je n'apprécie pas trop. Il ne faudrait pas qu'il devienne ami avec ce con !
- Charlie, je suis enchanté, reprend Mr-Costard-je-ne-comprend-pas-le-message. Je m'appelle Eliott Jenkins, et non, on ne se connait pas encore.
Comment ça pas encore ?! Ça veux dire quoi ça ?! Qu'il compte le connaître mieux ?!
- J'ai eu la chance de rencontrer votre amie Lexie au supermarché tout à l'heure. Elle avait besoin d'aide dans le choix de ses boissons...
- Je n'ai besoin d’aucune aide de votre part, merci de nous laisser maintenant. Pour la dernière fois, bonne soirée ! Charlie, on y va !
Charlie me regarde avec de grands yeux hagards et s'en est trop. Ma main toujours sur son bras, je le tire vers notre immeuble, la petite discussion entre ces deux là a assez duré.
- Lexie ! Me réprimande t-il. Excuse-moi Eliott, bonne soirée. J'espère te revoir ! Tu sais où j'habite...
En le traînant vers la porte, je peux entendre les mots de cet Eliott Jenkins en réponse à Charlie.
- Ne vous inquiétez pas, nous nous reverrons. Bonne soirée Lexie...
C'est donc pendant que je récupère mes biens sur les marches que Charlie ouvre enfin la porte. Je vois la vitre de la berline noire se remonter sur un visage arborant un sourire satisfait. Un sourire parfait, mais que je hais.