Premier Chapitre
Craignez-vous de mourir ? Craignez-vous la mort en général ? Certains répondront oui à cette question et d’autres non. Nous savons précisément ce qu’est la mort, le fait que le cœur d'une personne cesse de battre, que son cerveau s'éteint, que ses membres deviennent durs comme de la pierre. Mais savons-nous précisément ce qu’il y a après ? Où va-t-on ? Il y a t-il un Paradis ? Un Enfer ? Il y a-t-il vraiment un ange vêtu d'une robe blanche, entouré d’une lueur divine qui vient nous accueillir au bout du tunnel ?Anges, démons, elfes, vampires, est-ce une réalité ?
Personne ne sait.
Personne, puisque qu'aucun être humain n'en est revenu. Les seules preuves d'une vie après la mort pourraient être les fantômes et autres créatures dépassant l’état mortel. Est-ce qu’elles existent ou est-ce le simple fruit de notre imagination ? Lorsque notre cerveau n'arrive pas à comprendre ce qui se produit devant nous, la seule interprétation possible est le surnaturel. C'est un mécanisme répandu d'une logique irréfutable. Est-ce qu’il serait possible que le surnaturel soit en réalité le terme que nous définissons pour encercler notre peur de l’inconnu ? Notre peur de la mort ?
Dieu et le diable ne sont peut-être que des inventions pour adoucir la dure réalité d'un voyage sans retour. Savoir qu'il y aura toujours une forme de lumière pour détruire l'obscurité, est une chose rassurante. Le mal sera toujours vaincu, la vie toujours gardée. Un équilibre penchant autant pour la faveur du bien que la faveur du mal, c'est ainsi qu'on avance.
Je me suis demandée : et si ce n’était pas notre peur de l’inconnu mais réellement des éléments d’un autre monde ?
Ovnis, fantômes, lutins et j’en passe. Si tout ça était vrai ? Est-ce qu’il serait possible de combattre la mort ?
Des fois, j’espère que la magie et le surnaturel soient des choses vraies et non des inventions de la peur humaine. J'aimerais que cela puisse sauver ma sœur de la mort.
Ma sœur aînée d’un an, Alora Collins est atteinte d’un cancer du pancréas bientôt en phase terminale. Malheureusement aucun médicament, médecin, ni opération ne peuvent détruire la maladie, ils servent seulement à retarder la propagation de cette maladie incurable. C’est aussi pour ça que nous avons déménagé à New York. Alora ne supportait plus notre ancienne vie à Liverpool en Angleterre, tout lui rappelait sa maladie et le peu de temps qu’il lui restait à vivre. Je l’ai suivie dans cette grande ville des États-Unis, plus lumineuse et gaie, pour être auprès d’elle. Depuis que nous sommes petites filles, Alora et moi nous sommes inséparables et nous avons toujours pu compter l’une sur l’autre. J’ai toujours été attachée à elle, elle est comme ma moitié.
Ma sœur ne voulait plus vivre à Liverpool et partir seule à New York était impossible pour elle, alors j’ai pris la décision de venir avec elle, pour m'accorder à moi aussi une nouvelle vie, malgré cette horrible partie accrochée à nous telle une sangsue. C’était déjà un grand pas face à ce cancer. Selon les médecins, Alora aurait dû partir dans une sorte de dépression en apprenant qu’elle était malade et qu'il n'y avait aucun espoir mais elle n’a jamais versé une seule larme sur son sort, elle a continué d’être la fille emplie de joie de vivre. Elle a continué sa vie sans se priver de ses passions ni de ses rêves, je l’admire pour ça mais en même temps, ça me ronge le cœur. Vivre sans ma sœur et son amour me paraît inimaginable, elle a beau me rassurer, ma peur grandit un peu plus chaque jour. Nos parents ont compris sa décision ainsi que la mienne, ils m'ont laissée arrêter mes études, de toute façon, je ne savais pas vraiment où allait me mener ma fac de lettre, j'ai un rêve en tête mais pas un métier.
De temps en temps ils viennent nous rendre visite, nous appellent et nous accompagnent aux rendez-vous médicaux. Mais en ce moment, mon père et ma mère viennent moins souvent parce qu’Alora les renvoie chez eux. Elle essaye de leur faire comprendre que maintenant, à vingt-deux ans on peut la lâcher et arrêter de l’étouffer malgré son état assez critique. Alora ne veut plus qu’on lui rabâche sa maladie, elle essaye d’apprendre à vivre avec elle et de ne pas s’en soucier, elle nous a dit qu’elle voulait éviter d’en parler au quotidien et que quand l’horloge décidera de s’arrêter, elle s’arrêtera. Je ne sais pas ce qu’elle ressent face à ce cancer, face au fait qu'elle va mourir. Elle ne veut ni voir une psychologue ni m’avouer ses peurs. Elle ne veut pas voir la réalité et je ne peux pas l'en blâmer. Elle se contente de sourire et me rassurer mais je me dis que normalement, c’est mon devoir de la rassurer et de faire en sorte que tout aille bien, mais on dirait que c’est moi qui suis malade.
Nous sommes arrivées il y a un deux semaines à New York et Alora est devenue plus fatiguée que les mois précédents et ça m’inquiète beaucoup. Les médecins nous ont dit qu’on ne saurait pas quand la maladie basculera dans la phase terminale. Nous sommes encore en plein aménagement de notre appartement et Alora a voulu m’aider à installer les meubles et ouvrir les cartons mais je me suis dit que c’était beaucoup d’efforts demandés pour elle et qu’elle pourrait faire la décoration. Alora est très forte en décoration, que ce soit pour les couleurs, les objets et tout le reste. Elle voulait être décoratrice d’intérieur mais malheureusement, sa maladie a pris beaucoup trop de place pour qu’elle se permette de travailler. Pour ce qui est de mon travail à moi, j’ai toujours été passionnée par les livres et l’écriture. J’écris des histoires à mes heures perdues et un jour, j’aimerai bien devenir écrivain comme Lisa Jane Smith ou Stephanie Meyer. C'est un rêve et non un métier qu'on obtient avec un diplôme. Je ne pouvais pas entrer dans une nouvelle université à cause de l'état d'Alora et son incapacité à travailler alors j'ai chercher un travail. J’ai réussi à trouver un boulot dans une bibliothèque, une semaine après notre arrivée. Je m’y suis prise tôt pour ne manquer de rien vu le prix du traitement pour ma sœur ainsi que le loyer et les frais de notre appartement. Mon salaire est suffisant pour payer le traitement et nos parents nous envoient régulièrement de l'argent pour le loyer. Au départ, je ne comptais pas travailler dans le rayon des livres car je voulais opter pour un travail un peu plus payant mais malheureusement, sans diplôme, il est difficile de trouver un travail avec de bons salaires. Mais cette bibliothèque, pas trop éloignée de notre quartier, recrutait du personnel et les horaires me convenaient parfaitement, ils me laissaient du temps libre pour écrire chez moi. C'était une aubaine de trouver un travail avec de bonnes conditions en si peu de temps.
– Heather tu es sûre que tu ne veux pas un coup de main ? me demande Alora en attachant ses longs cheveux en chignon au-dessus de sa tête.
Ma sœur a une beauté bien à elle, elle possède de longs cheveux blond vénitien aux reflets blonds foncés, elle a des prunelles bleues nuancées de touches émeraude surmontées de long cils noir. Son teint est devenu porcelaine mais il fait ressortir ses yeux. Elle a perdu pas mal de poids et sa silhouette –déjà fine au départ avec sa grande taille– s’est accentuée et elle ressemble à une poupée qu’on a peur de casser ou qu’elle se fasse emporter par le vent.
Le seul point commun entre Alora et moi, ce sont nos yeux, j’ai les mêmes prunelles bleues mais un bleu plus émeraude, surmontées de longs cils fins et noirs. Ce n’est pas en deux semaines que je vais réussir à colorer mon teint de fille vivant en Angleterre avec le soleil d’été de New York. J’ai des cheveux bruns qui m’arrivent en dessous des omoplates, ils possèdent des reflets dorés et c'est la seule chose que j'apprécie. Comparée à Alora, je suis plus petite et moins squelettique mais Alora avait la silhouette d'une fille parfaite avant sa maladie.
– Je ne sais plus en quelle langue te le dire, non, je réponds à ma sœur en passant devant elle pour poser un carton sur la table centrale de la cuisine.
Cette cuisine est entièrement blanche, les placards sont de couleur gris et noir. Il y a une petite fenêtre près du frigo qui donne sur les immeubles d’en face, en soi, ce n’est pas la plus belle vue mais j'adore apercevoir New York en me levant. Je remarque qu’Alora porte un tee-shirt vert trop grand pour elle et un bas de pyjama gris ample, ses vêtements ne lui vont presque plus. Elle arque un sourcil et s’appuie sur l’îlot central. Je repousse une bretelle de ma salopette en jean et secoue mon tee-shirt blanc pour me ventiler. Déménager en début du mois de Septembre où les vacances se terminent n’était pas la meilleure idée. J’ouvre le carton et sors les derniers ustensiles de cuisine dont je n’avais pas besoin et je les pose sur la table, je retire le carton et le pose par terre.
– Alors ? me dit-elle en s’asseyant sur l’un des tabourets. Tu es sûre de ne pas vouloir te reposer ? Souffler un peu ? Regardes-toi, tu es toute rouge, tu risques d’exploser.
Je pousse un rire et sors les objets de leurs sacs plastiques.
– Ça va. Je pense que je vais m’arrêter pour aujourd’hui. J’estime qu’il faut compter deux trois jours pour tout finir.
– Heather, marmonne-t-elle.
Elle se lève et m’arrache les ustensiles des mains et me dit en se rasseyant :
– Ça fait deux semaines que tu es cloîtrée ici à tout ranger, tu devrais peut-être sortir un peu non ?
– Je suis sortie la semaine dernière pour mon entretien d’embauche.
Elle penche la tête sur le côté, me regardant de travers. Elle repasse ses cheveux en arrière. Alora me dit en croisant les bras :
– C’est tout ? Tu ne veux pas profiter de New York et te faire des amis ?
– Me faire des amis ? Timide comme je suis… et tu sais que je mauvaises expériences avec les amitiés…
Alora lève les yeux au ciel. Je suis de nature timide et j’ai dû mal à prendre contact avec les gens. Il est vrai que je reste souvent chez moi avec un livre devant le nez et qu’il est dure pour moi de m’engager pleinement dans des relations amicales, surtout que mes expériences de lycée n’ont pas été fameuses. Nous sommes dimanche et j'ai seulement commencé à travailler mardi, je n’ai pas eu la tête à me faire des amis mais plutôt à bien me faire voir par Madame Elsa, ma patronne un peu folle.
– Je suis sûre que tu y arriveras et peut-être même avoir un petit-copain.
Je lève les yeux au ciel et lui fais remarquer en reprenant les objets qu’elle tient dans ses mains :
– Seigneur ! Arrête avec ça...
– Quoi ? Heather, tu as vingt et un ans, ça serait bien que tu aies quelqu’un avec qui partager ta vie comme ça tu ne seras pas seule…
Je lève les yeux vers elle, mon sourire disparaît en comprenant le sous-entendu dans sa phrase. Quand le cancer aura eu raison d’elle, qui sera là pour prendre soin de moi ?
Elle est ma grande sœur et c’est normal qu’elle s’inquiète pour moi et qu’elle veuille qu’on me protège. Mais je ne suis plus une enfant.
– Alora... murmurai-je en posant mes mains à plat sur la table.
Alora ferme les yeux et passe sa langue sur ses lèvres, elle reprend :
– Heather... je veux juste m’assurer que quelqu’un sera là pour veiller sur toi quand je ne serais plus là.
– Je n’ai besoin de personne pour veiller sur moi, Alora.
Je cligne des yeux et je dessine un rond sur le granit de l’îlot.
– C’est ce que tu crois, reprend-elle.
– Je peux me prendre en charge seule. Je n’ai pas besoin d’un homme dans ma vie, lâchai-je.
Alora essaye de détendre l’atmosphère qu’elle a alourdi en disant :
– Et comment comptes-tu me donner des nièces ou des neveux ?
Je lui fais un sourire mais le cœur n’y est pas.
– Pas pour l’instant, répondis-je.
– Je suis désolée.
Je m’approche d’elle et vient la prendre dans mes bras.
– Ce n’est rien. On n’en parle plus.
Alora enfouit sa tête dans mon cou pendant que je lui caresse le dos. Je me recule et me retourne pour attraper le carton, je compte m’en débarrasser pour éviter qu’il encombre cet appartement qui est déjà minuscule. Je passe dans l’encadrement du mur, traverse le petit salon et me dirige vers la porte d’entrée. En face il y a nos deux chambres et la salle de bain. J’ouvre la porte et pose le carton à côté. Chaque matin, une personne du bâtiment vient les chercher pour les recycler. Je referme la porte, Alora est derrière moi, les bras croisés, elle demande :
– Il est bientôt midi, tu veux que je nous prépare quelque chose ?
– Si tu veux.
Elle se retire dans la cuisine. Alors que je me dirige vers mon ordinateur pour consulter mes mails, j’entends quelque chose se briser. Je me précipite dans la cuisine. Alora est cambrée en deux, une main sur le ventre, il y a des morceaux d’assiette brisée autour d’elle. Je viens à son secours et la relève en demandant tout en la tenant par les épaules :
– Hé ! Alora ! Regarde-moi, ça va ? Tu veux qu’on appelle un médecin ?
Elle me repousse et me dit en se posant une main sur le front :
– Heather ça va.
Je me contente de la regarder. Alora a déjà eu ce genre de crise où sa vision se brouille et elle est prise d’une sourde douleur. Le médecin a dit que si ses crises devenaient fréquentes il fallait prendre un rendez-vous au plus vite. Alora se baisse pour ramasser les débris mais je lui dis en ramenant les plus gros morceaux :
– Non laisse, je vais le faire. Tu n’as qu’à t’occuper du dîner.
Je jette les morceaux et j’attrape un balai pour finir de nettoyer. Je lui demande, hésitante, en m’appuyant sur le manche du balai :
– C’est ta première crise ?
Alora se lave les mains et me regarde.
– Tu parles pour aujourd’hui ? répond-elle.
Je hoche la tête.
– Non, j’en ai eu une ce matin mais elle n’était pas forte.
Je pousse un grand soupir.
– Et pourquoi tu me n’en as pas parlé ? m’enquis-je.
– Je viens de te dire qu’elle n’était pas forte.
– Ce n’est pas une excuse Alora ! Si tu as une crise tu dois me le dire.
Alora secoue ses mains et passe une main sur son front.
– Pourquoi Heather ? demande-t-elle.
– Mais parce que je suis ta sœur.
– Non, tu veux juste savoir quand il faudra aller voir un foutu médecin qui pourra diagnostiquer l’avancée de la maladie. Je suis capable de dire quand c’est grave et ce qui veut dire que le cancer avance, d’accord ?
Je baisse les yeux et me balance sur mes deux pieds, je murmure :
– D’accord. Je suis désolée.
– Tu n’as pas à t’excuser Heather, je ne veux pas qu’on me traite comme une personne différente, exactement comme le font nos parents. Vous êtes beaucoup trop sur mon dos et des fois c’est vous qui exagérez les choses.
Je range le balai et croise les bras.
– Très bien...
Je quitte la cuisine sous le regard pesant de ma sœur et je me dirige vers mon bureau, je m’installe devant et consulte mes mails ainsi que les actualités sur Twitter pour me changer les idées mais mes pensées restent clouées dans la peur de voir Alora décliner de plus en plus.
Le déjeuner s’est passé dans le silence le plus total, je n’ai pas su si elle m’en voulait. Puis j’ai passé le reste de la journée à ranger les cartons, à déplacer des meubles, à nettoyer l'appartement. Alora a continué dans son coin la décoration de l’appart. Il ne me reste plus que deux cartons à déballer et après on sera installées dans notre chez nous.
Quand la nuit est tombée, je suis allée me reposer dans ma chambre, mon esprit n'est libéré que quand il est plongé dans un récit, là où tout est possible.