Premier Chapitre
PrologueIl était dans sa chambre, devant elle. Elle le regardait fixement, en lui caressant les cheveux. Il dormait. Pourtant, il fallait qu’il se réveille. Son mari allait bientôt rentrer, et s’il voyait les valises dans le salon, bouclées et prêtes à partir, ce n’était pas une simple crise qu’il allait faire, mais bel et bien un meurtre. Elle continua de lui caresser les cheveux, mais cette fois-ci, avec un peu plus de fermeté. Il fallait qu’il se réveille. Pour sauver sa vie, pour en vivre une autre, pour mourir d’une mort naturelle et non causée par un père alcoolique. La femme, voyant que ses caresses ne réveillaient pas son fils, décida de lui chuchoter à l’oreille un : « Réveille-toi... » L’enfant bougea un peu dans ses draps, mais semblait encore bien endormi. La femme fut alors plus persistante, et secoua doucement le bras de son fils. Celui-ci ouvrit un œil, puis deux. Il se redressa dans son lit et frotta ses paupières avec ses petites mains. Il n’eut pas le temps de parler que sa mère lui expliqua rapidement la situation :
— On va partir, mon crapaud... dit-elle d’une voix apeurée. On va partir loin d’ici, loin de papa, et loin de la violence... Tout est déjà prêt dans le salon, on n’a plus qu’à s’en aller et le tour est joué !
L’enfant fronça les sourcils :
— Mais...
— Chut, mon crapaud... le coupa sèchement la femme. Lève-toi. On n’a plus le temps pour s’habiller, il faut partir maintenant...
Elle regarda sa montre :
— Papa va bientôt rentrer, et il va être très fâché quand il verra les valises... Tu ne veux pas que papa soit fâché, n’est-ce pas ?
L’enfant fit signe que non :
— Bien, alors lève-toi et va vite prendre ta valise, sinon...
Elle ne termina pas sa phrase ; rien que de penser à ce qui pouvait se passer lui fit froid dans le dos. L’enfant s’extirpa de son lit et se leva pour sortir de sa chambre. La femme regarda une nouvelle fois sa montre : 23h15. Bob allait bientôt rentrer des bars, saoul, énervé par l’alcool, et vomissant ses insultes sur elle. Elle ne préféra pas y penser, et se concentra sur l’instant présent. Son fils venait de rejoindre le salon, elle fit de même. Elle fit enfiler à sa progéniture une grosse écharpe, un k-way, et un bonnet. Quant à elle, elle ne prit rien. L’adrénaline et l’angoisse réchauffant tout son corps, elle n’allait pas perdre de temps à enfiler son blouson et toutes les affaires qui allaient avec.
La femme regarda son fils. Il avait les larmes aux yeux. Elle se pencha, et le réconforta comme elle le pouvait. 23h20. La femme se releva et prit son fils par la main. Elle vérifia qu’il avait tout, et une fois qu’elle fut convaincue, elle s’avança vers la porte.
Elle n’avait pas entendu son mari trébuchant dans l’escalier, se relevant difficilement, et insulter les marches. Il était saoul, il était énervé, il avait besoin de se défouler.
Elle ne l’avait pas entendu chercher ses clés dans sa veste puant l’alcool. Elle ne l’avait pas entendu insérer les clés dans la serrure. Elle n’avait pas entendu le petit bruit qui signifiait que le verrou était déverrouillé. Non, elle n’avait pas entendu.
Elle aurait dû.
La porte s’ouvrit en fracas. Bob était sur le palier de la porte, saoul, énervé, avec le besoin de se défouler. C’était l’occasion rêvée pour lui ; lorsqu’il vit sa femme, son fils, avec des valises, sa colère fut telle qu’il ne put la contrôler.
La femme cria à son fils de se cacher, vite, très vite ! Ils n’avaient pas été assez rapides pour s’en aller, ils avaient perdu. Bob hurla de fureur :
— Qu’est-ce que tu fous avec ces valises, grognasse ?!
La femme se mit à pleurer. Bob se mit à la frapper.
L’enfant s’était caché dans l’armoire de sa chambre. Bien qu’il ne vit rien de la scène, il entendit tout, et ce fut pire que de la voir. Il entendait hurler sa mère, de peur, de terreur, de souffrance. Son père aussi hurlait, mais de colère, de violence, et de bestialité. Il entendit quand son père sortit une poêle. Il entendit quand sa mère lui supplia d’arrêter. Il entendit quand son père frappa sa mère avec l’instrument de cuisine. Une fois. Deux fois. Trois fois. A chaque coup porté, l’enfant fermait un peu plus les yeux, et les larmes coulaient à flots. Quatre fois. Cinq fois. Six fois. Il se boucha les oreilles, mais rien n’y fit. Il entendait tout. Sept fois. Huit fois. Neuf fois...
Enfin le silence. Mais pas un silence doux et tendre, non. C’était un silence de souffrance et de mort. Il entendit son père lâcher la poêle. Au fond de lui, il savait que sa mère venait de mourir. Mais il ne voulait pas le croire. Or il savait aussi que son père ne s’était pas assez défoulé, oh non. Ça allait être à son tour de souffrir. Et peut-être même à son tour de mourir...
La nuit fut longue, très longue.