Premier Chapitre
1. Arrivée à la Chapelle Saint Laurent.C’était une journée où la soleil était difficilement supportable. Une de ces journées où la chaleur appesantissait tous les mouvements, toutes les pensées. Lila était dans un état d’esprit proche de l’inconscience, abrutie par la chaleur. Elle savait que cet été 1968 resterait à jamais dans sa tête, cet été aurait le goût amer du changement. Il y a toujours un avant et un après chaque décisions de la vie. Et le retour dans son village natal serait sans nul doute celui qui aurait immiscé le plus grand. Il a remis en perspective l’avant, pour mieux vivre l’après. Mais chaque chamboulement s’opère dans la douleur, et plus ils sont grands, plus ils font mal. Elle savait qu’elle allait souffrir, elle le sentait dans la boule qui s’était formé juste au-dessus de son cœur depuis la veille.
Lila n’aurait jamais pensé revenir, et elle aurait préféré ne jamais y remettre les pieds. 8 ans, 8 ans qu’elle était partie, qu’elle avait essayé de tourner la page, essayé. Elle avait tout quitté à 18 ans dans l’espoir et la crainte. Mais elle était de retour, dans ce bus bondé, la peur au ventre, sur les routes caillouteuse de son passé. L’étau qui comprimait sa poitrine ne l’avait pas quitté depuis la veille, depuis ce coup de téléphone. Celui qu’elle redoutait sans même imaginer un seul instant qu’il puisse arriver. Fébrile, elle avait préparé sa valise, et était partie à l’aube, après une nuit sans sommeil. Un trop long trajet l’avait reconduit vers ce village qu’elle s’était juré ne jamais plus revenir. Dans la moiteur du bus, elle voyait défiler le paysage qu’elle avait oublié, le cœur battant tellement lentement qu’elle pensait qu’à tout moment, il pouvait s’arrêter. A mesure où elle commençait à reconnaitre les villages, les routes, sa respiration se faisait de plus en plus difficile. Puis les courbes de l’horizon devinrent, malgré ses yeux troubles, celle de son enfance. Le bocage, avec ces chênes, ces charmes et autres arbres qui rendait les contours verdoyants. Ils encadraient au loin la Basilique surplombante, témoin privilégié de son enfance. Plus qu’un virage, et elle serait là où tout avait commencé, là où tout à fini. Sa tête bourdonnait, et elle ne vit de l’entrée du village que le panneau qui indiquait : La Chapelle saint Laurent.
A la descente du bus, le poids de la chaleur de ce mois de Juillet fut étourdissant. Les yeux remplis de larmes, submergée par l’émotion, elle manqua de s’évanouir sans l’intervention d’un jeune homme qui passait non loin d’elle.
- Attention Mademoiselle, ça ne va pas ?
Ne portant aucune attention à celui qui la tenait dans ses bras, son regard était fixé sur le clocher de l’église, à l’allure de château fort moyenâgeux qu’elle ne pensait jamais revoir. Le ciel d’un bleu aveuglant dessinait les contours à l’architecture unique, brut et anguleux du clocher avec netteté. Elle ne pouvait en détacher les yeux comme hypnotisée par cette vision oubliée. Ce fut là où 26 ans plus tôt elle avait été baptisée, là où quelques années plus tard elle avait fait ses communions, là où sa sœur s’était mariée… Cette église, cette place, ces bâtiments étaient chargés de souvenirs, et avait été le décor de sa vie d’avant. Elle les avait chéris avec une ferveur démesurée, puis oubliée comme s’ils avaient été la cause du mal qu’elle avait vécu. Mais c’était avec une émotion sincère qu’elle les avait retrouvés.
- Lila ? C’est toi ?
Comme sortie de sa rêverie, elle se rendit compte qu’elle était encore dans les bras de l’homme qui l’avait rattrapé in-extremis. Son regard s’était alors posé sur lui, sans qu’elle n’en reconnaisse les traits. Pourtant, le sourire qu’il lui offrait était franc, mais le visage de Lila était plus prêt de l’embarras. Rien en lui ne revenait en mémoire à la jeune femme. Il avait tout d’un homme juste sorti de l’enfance. Un léger duvet juvénile noire ombrait son visage aux traits abruptes et marqués. Sa voix grave résonnait dans sa tête de façon vague et lointaine.
- Lila, tu n’as pas changé ! Tout le monde disait que tu ne reviendrais jamais mais te voilà. Ton père va être heureux de te voir.
Il avait reposé Lila sur ses pieds, mais ses mains larges la tenaient encore par les hanches. Elle se dégagea prestement pour sortir sa valise du bus mais il la lui prit aussitôt des mains.
- Laisses, s’écria-t-il je te l’emmène. Avant de la lancer dans un fourgon datant d’au moins 20 ans.
- Je suis désolée mais on se connait ? l’interrogea-t-elle énervée.
- Enfin Lila tu ne me reconnais pas, c’est moi Firmin, Firmin Rochard
- Firmin, le petit Firmin, le fils du facteur ?
- Lui-même répondit-il fièrement
Abasourdie, Lila essayait de reconnaitre dans ces traits le gamin disgracieux de ses souvenirs. Avec ses cheveux bouclés sans forme et gras, ses dents avancées et ses larges oreilles disproportionnées. Les autres enfants n’avaient jamais été tendre avec ce garçon au physique ingrat. Mais heureusement pour lui, l’adolescence avait effacé tout ce qu’il y avait de déplaisant pour devenir un jeune homme au charme certain. Il devait avoir dans les 18 ans, et on lisait déjà la force dans ces bras. Les traits désagréables de son enfance donnaient du caractère à son visage encore juvénile, le rendant d’une beauté particulière.
- Je t’emmène chez tes parents Lila ? l’invitât-il alors qu’il la poussait déjà vers le fourgon ou un homme ventripotant les attendait au volant l’air impatient.
- Non s’écria-Lila sans tact, je vais y aller à pied, je préfère.
- Tu es sûre ? par cette chaleur ?
- Oui, oui, s’il te plaît, rends-moi ma valise.
- Je peux au moins te la déposer là-bas si tu veux.
- Comme tu veux. Céda la jeune femme avant de lui tourner le dos et partir sans un regard.
Lila se m’y donc en marche, avec une détermination puisée dans sa crainte. Elle avait laissé pantois Firmin, vexé par son ton sec. L’appréhension qui animait alors la jeune femme était trop forte pour qu’elle ne puisse penser un seul instant à la susceptibilité froissé du jeune garçon.
Lila quitta sans attendre la Place de la Bascule pour prendre l’Avenue de la Gare avec le sentiment de se diriger vers sa propre fin. Revenir dans ses lieux lui faisait se sentir vulnérable. Elle avait l’impression qu’en un seul choc, même minime, elle allait se briser en mille morceaux. Ce lieu, ce village, La Chapelle Saint Laurent, était pour elle synonyme de tristesse, de destruction. En le quittant, elle avait réussi avec beaucoup de mal à se reconstruire une frêle estime. Elle avait réussi avec force à se forger une nouvelle identité, loin de sa famille, et des autre habitants de ce village. Mais cette faible illusion allait sombrer, elle en était persuadée.
A quelque pas de la place qu’elle venait de quitter avec ses voyageurs, riverains, et travailleurs, elle passa devant le châteaux des Dormont, sublime manoir au style excentrique du début du siècle. Elle ne put retenir un petit pincement au cœur quand elle vit cette façade unique, jamais oubliée. Il n’avait pas changé, avec ces multiples fenêtres aux moulures dégoulinantes, et ses sculptures gravées dans la pierre. Son air continuellement endormi lui donnait encore plus de charmes. Les volets était clos, et le portail en fer forgé rouillé était recouvert de lierre et de vigne vierge. Elle était encore inhabitée, comme dans les souvenirs de la jeune femme. Elle resta un moment figée devant le manoir, et comme avant, son corps tout entier fut traversé par un sentiment d’étrangeté malaisante. Une sensation déraisonnée qui l’obligea à se détourner prestement et à continuer sa route.
Elle fit le reste du chemin d’un pas rapide et énergique, sans vraiment se rendre compte du reste du village et des menus changements opérés par les années. Naturellement, elle tourna par Le Chemin de la Cave, pour ainsi se retrouver dans une campagne calme et baignée par un soleil éblouissant de Juillet. Le paysage de l’église en arrière-plan, bien qu’enchanteur ne lui parvenait pas, noyé dans le flou d’une émotion indescriptible. Le fil de ses pensées lui faisait se sentir mal, inlassablement seule, et une même question tournait sans cesse : « qu’est-ce que je fais là ? »
Des années plutôt, elle s’était jurée ne plus jamais revenir, elle l’avait juré à sa mère, lui avait scandé haut et fort son indépendance et sa volonté de partir pour toujours. C’était il y a 8 ans, un jour de Juillet comme celui-ci où l’air était aussi lourd et chargé. Elle avait à peine 18 ans. Tous attendaient l’orage qui allait éclater et apporter la fraicheur d’une pluie salvatrice. Quelles avaient été les paroles de sa mère, quelles avaient été les siennes, elle ne se souvenait plus, mais la seule chose dont elle se rappelait amèrement, c’était le visage de Georgina, ravagé par la colère et le dégoût. Ses yeux exorbités, un rictus mauvais sur les lèvres, et son teint écarlate. Quels mots avaient été échangés ? Peut importais, mais ils avaient eu comme conséquence la rupture totale et irréversible de sa vie d’enfant. Elle s’était soustraite à cette vie comme si elle c’était arraché à main nue un membre gangréné avec force et rage.
Pas à pas, avec une détermination insoupçonné, elle se rapprochait de Pitié. Au détour d’un virage, elle entrevoyait le chevet sculpturale de la Basilique. Comme une amie qu’elle retrouvait, elle fût émue de la revoir, beauté brut aux courbes rondes et rudes à la fois. Elle était si belle ainsi au milieu d’un écrin de verdure, auréolée d’un soleil radieux presque divin. Lila avait grandi près d’elle. Elle avait été spectatrice de sa vie d’enfant, tantôt témoin tantôt refuge. Elle était dans tous ses souvenirs, stable et inchangée.
Elle pénétra enfin dans le bourg de Pitié, endormi sous la chape de chaleur orageuse. La place inchangée était vide, seuls quelques véhicules stationnaient à l’ombre, où seul un chat qui traversait la route donnait un peu de vie. Lila jeta un rapide cops d’œil aux façades des bâtiments alentours, aux enseignes, mais continua son chemin sans plus d’émotions en longeant la Basilique. Elle commençait à voir son but. A quelques mètres, l’Auberge de ses parents. Son cœurs s’arrêta, et sous le poids de l’appréhension elle ne pouvait plus avancer. Paralysée par la peur, elle sentait que sa tête allait éclater. Elle resta un instant à regarder au loin les courbes de l’Auberge, ne parvenant pas à faire un pas de plus. Incapable d’avancer, elle pivota à droite, monta les marches qui la conduisait devant la Basilique, et pénétra dans la fraicheur apaisante du lieu de culte.