Premier Chapitre
La fille se souvient. Le bruit du carillon. Celui de la porte d'entrée. La voix rassurante et grave de Leroy. Le cliquetis des clés que l'on tourne et ce bruit mat soudain et étranger, puis un très court silence, le temps qu'elle se précipite de la salle de bain vers le couloir. Elle découvre d'abord son ami, inconscient sur le sol dallé. Surprise intense. Peur soudaine. Elle voit ensuite la silhouette. Elle est revêtue de la tête au pied d'une combinaison blanche, de celle que l'on utilise pour se protéger. Pour se cacher. Elle crie, le corps tétanisé. Seulement deux secondes puis le piment OC fait son effet. Il ne lui laisse aucune chance de s'enfuir. La piqûre à la base du cou, pas davantage. Elle aussi s’effondre, les jambes inertes.Elle ne peut pas oublier. Comment le pourrait-elle ? Le retour à la réalité, d'abord, et la douleur due aux écarteurs de paupières, ensuite, tandis qu'elle essaye de fermer les yeux pour s’accommoder à la lumière brusquement plus présente. S'impose alors le spectacle nivéen, comme un brouillard que l'astre chasserait. La chambre immaculée couverte totalement au sol et sur trois murs d'un film plastique, de ceux que l'on utilise dans le bâtiment. Le lit dont les draps sont encore propres. La présence étrangère et méticuleuse aux déplacements lents de cosmonaute que l'advertance occupe. Le corps nu de Leroy étendu sur le matelas et apparemment soigneusement ligoté. Elle, sur une chaise, parfaitement immobile, un adhésif sur la bouche et de part et d'autre des yeux. Le dos plaqué au dossier, les jambes collées au bois.
La mise en scène s'incruste enfin définitivement dans sa mémoire. L'horreur embuée par les larmes rouges et diluées. Une évidence ? Oui. L'ombre blafarde reste consciencieuse et méthodique. Presque taciturne. Elle tient un scalpel dans la main droite. La lame, guidée par les doigts chirurgicaux, suit lentement les fines ridules du corps. Le sang coule à chaque coupure et dessine un delta sur la peau avant de finir sur le lit. Le regard de Leroy, fixé par l'effroi et par la succinylcholine – un curare dépolarisant - n'émet pas le moindre bruit. Pas la moindre douleur. Le cœur en tachycardie de la fille attrape, en revanche, cette géhenne subite comme s'il s'agissait d'un injuste châtiment. Tremblements irrépressibles à chaque mutilation. Rupture de la conscience, une seconde fois.
Dernier acte. La gifle forte infligée afin de réveiller la spectatrice. Le retour vers l'enfer. Le spectre ne s’accommode pas de rester seul. Généreux, il veut jouir autant de la souffrance de la femme, orbites révulsées, que de l'incompréhension de Leroy. Il représente le mal. La punition. Forme flou, il tourne autour d'elle. Se rapproche et sent l'odeur acide de la terreur à travers le masque. Satisfait, il s'écarte et retourne au chevet du condamné. Caresse son corps une dernière fois comme une femme le ferait, les mains bien sûr gantés jusqu'au coude, puis écrit sur le mur avec le sang de la victime, un seul mot. Une explication à la mise à mort. Elle déglutit. Fin proche. Le monstre, subitement, saisit un couteau de la trousse étalée à même le sol et sans même s’arrêter continuer son geste théâtral. Tranche le sexe de l'homme d'un coup sec, rapide. Magistral. Nouvelle désescalade. Elle hurle du corps, tant qu'elle tombe au sol, puis disparaît dans le noir de l’anesthésie.
– Mort ? demande le premier médecin légiste en entrant dans l’immense chambre, parfaitement rangée et aseptisée.
– Oui ! Pas terrible. Quelle merde ! Et la fille ? s’inquiète son collègue.
Détachée de ses liens depuis quelques heures, elle tremble, hagarde et muette, face au spectacle
– Elle vit. Seulement cela. J'ai appelé la psy. On verra !
– Tu crois que...
– Non, non ! Elle n'a pas été violée. Mais c'est bizarre !
– Quoi ? qu'elle n'a pas été violée ?
– Non, non. Le truc, là ! Qu'on l'ai trouvée libre. Assise et immobile presque statufiée, le dos contre le mur. Devant... le cadavre de son mec. L'inscription au dessus de la tête du lit. Un aveux de vengeance, peut-être ? En tout cas, une explication. Et puis tout ce fatras au milieu de la pièce pourtant javellisée. Le scalpel. Le tranchoir. La bombe lacrymogène. Les seringues. Même les gants... Hum ! Je mets ma main à couper qu'il y a ses empreintes partout.
– Tu ne vas pas me dire que... s'étonne le deuxième scientifique de la police. Ça serait un peu trop facile, non ?
– Tu sais ! Si c'est le cas, ce n'est pas la première fois qu'on découvre un truc aussi tordu, lâche, désabusé, le médecin.