Premier Chapitre
LE RÉVEILEn uniforme d’apparat, escorté par deux sergents de l’Union, Névil entra dans l’immense salle de réception de la Congrégation appelée : le Dôme, l’endroit le plus fastueux d’Ébantus. Ceux qui y pénétraient étaient triés sur le volet.
Étrangement, il n’y avait rien de véritablement exotique pour un humain. Ce n’était que faste, dorures et luxe, rappelant les temps passés de la royauté sur Terre.
L’architecture en revanche était parfaitement futuriste. Le détail le plus incroyable était que le fameux dôme, qui avait donné son nom à l’endroit, ne reposait que sur d’immenses et fins piliers. Il n’y avait aucun mur plein. Et les gigantesques arches intercalées entre ces colonnes graciles étaient vitrées du sol au plafond.
Névil imaginait que, lors des journées ensoleillées, décidées par l’IA de la station, le lieu devait être inondé de lumière faisant miroiter tous les fragments surlignés d’or ou de pierres précieuses. Ce devait être étincelant au point d’en devenir aveuglant.
Seulement, Garvianne n’avait pas envie d’admirer le Dôme. Il venait de recevoir une distinction de la Congrégation : l’équivalent de la médaille du courage sur terre.
Et encore plus fort : le titre « d’Ambassadeur de vie » par l’Ordre. Cela lui conférait la possibilité de se rendre là où seules les Ombres pouvaient aller – sous certaines conditions évidemment et pas partout, bien entendu. En fait, ce n’était qu’un titre purement honorifique.
Heureusement, ses yeux étaient redevenus tout à fait normaux avant son arrivée sur Ébantus. Il aurait été plus que laborieux de devoir expliquer cette étrangeté physique aux Sages présents ce soir. Nul doute qu’ils auraient tout de suite compris d’où cela pouvait provenir…
Chose dont Névil n’avait pas l’habitude, les gens s’écartaient sur son passage. Certaines personnes le regardaient avec admiration, d’autres avec convoitise. C’était particulier comme sensation : celle d’être le point de mire de toute une assemblée. Lui, ce qu’il aimait, par-dessus tout, c’étaient l’anonymat et la tranquillité. Autant dire qu’il n’était pas habitué à toutes ces simagrées.
Plusieurs convives vinrent lui serrer la main en le félicitant.
Il fit des sourires – les plus sincères possible, ce qui n’était pas facile. Il dit quelques mots – les plus neutres afin de ne pas commettre d’impairs – et finit par arriver au bar où il demanda un verre d’alcool qu’il avala d’une gorgée.
« Je suis un soldat, je n’ai rien à faire là ! », pensa-t-il, agacé par toutes ces attentions dont il ne se sentait pas le mérite.
Encore une petite demi-heure et il tirerait sa révérence. Ses nerfs étaient à vif. Tous ces gens qui l’entouraient faisaient partie d’une certaine caste de la société d’Ébantus dans laquelle il ne se reconnaissait pas. Tous les jours, il se battait pour sauver des vies et maintenir une certaine image de l’honneur envers sa patrie, alors qu’eux se battaient pour le paraître ou l’argent. Leurs idéaux se situaient au niveau de leur portefeuille et leur morale avait un prix.
Névil commanda un autre verre qu’il prit le temps, cette fois, de déguster.
— Bonsoir, commandant, l’aborda une adorable blonde, bien jeune. Si vous continuez ainsi, vous ne profiterez pas de votre soirée, finit-elle en regardant le verre que Névil tenait entre ses doigts.
— Je ne compte pas rester, asséna-t-il d’une voix dure.
— Quel dommage ! Je me présente, continua la jeune femme en lui tendant la main, Moline Ferras. Enchantée.
— Enchanté, répéta Névil en lui serrant la main un peu trop fort.
Moline ne fit aucune remarque, elle se contenta de se rapprocher de lui jusqu’à lui frôler l’épaule.
Garvianne s’écarta, mais elle le retint d’une main sur l’avant-bras.
— Il fait très chaud ici. Accompagnez-moi une minute à l’extérieur, histoire de prendre un peu l’air…
Névil retira son bras en répondant :
— Je ne sais pas ce que vous voulez, mais je ne suis pas intéressé. Bonne soirée, Mademoiselle Ferras, finit-il en tournant les talons.
Il ne put faire qu’un pas : la jeune femme vint lui barrer la route en murmurant :
— Je suis certaine que vous serez intéressé ! Le Grand Sage Dostine me l’a affirmé.
Cette fois, Névil regarda la belle d’un œil neuf.
— Vous m’accompagnez dehors ? susurra-t-elle à nouveau, en se dirigeant vers les fenêtres donnant sur le parc, certaine que le commandant la suivrait.
C’est effectivement ce que fit Névil après avoir fait signe à « sa garde rapprochée » de rester en arrière.
Une fois dehors, il se posta devant Moline et dit d’une voix basse et dure :
— Qui êtes-vous ?
— J’ai un message pour vous, répondit-elle en glissant une petite carte dans la main du commandant. Vous devez vous rendre à cette adresse au plus tard dans une heure.
— C’est le Grand Sage Dostine qui vous a demandé de me donner ça ?
— Oui. Surtout, ne dites rien à personne, il n’est pas censé être ici.
— Méliana est sur Ébantus ?
— Il est important que vous veniez seul et que vous ne soyez pas suivi !
— Répondez ! Je veux savoir si…
— Vous avez compris ce que je viens de vous dire ? le coupa-t-elle.
— Oui, mais…
— Laissez-moi quelques minutes avant de retourner à la réception. Et ne partez pas tout de suite, ce serait suspect. Attendez au moins quinze minutes.
Sans un mot de plus, elle se dirigea vers la porte-fenêtre et une fois s’être assurée que la voie était libre, Névil la vit disparaître à l’intérieur.
Le commandant regarda la carte. Ce n’était pas l’adresse d’un temple de l’Ordre de la station.
Devait-il vraiment se rendre à cet endroit ?
La jeune Moline Ferras lui avait semblé honnête, mais pouvait-il se fier à son joli minois moucheté de taches de rousseur ?
Tout ceci était louche, pourtant, Névil ne comptait pas renoncer. S’il y avait une infime chance qu’en se rendant à cette adresse, il lui soit permis de voir Méliana, il n’y avait pas à hésiter !