Premier Chapitre
Journal de Rose Lundi 22 février 1954Fichu hiver qui n’en finit pas ! Il a encore fait très froid cette nuit et bien que je me sois emmitouflée sous mon édredon en plumes, j’avais le bout du nez et les oreilles glacés à mon réveil. Le givre s’est collé à l’intérieur des vitres, dessinant des petits flocons en une couche épaisse sur les carreaux. Il parait que la banquise s’est formée à Dunkerque. Après les boches manquerait plus qu’on voit débarquer les pingouins ! J’imagine la tête de Jeanne si elle se retrouvait nez à nez avec l’un d’eux, elle qui se sauve déjà quand elle voit une mouche. Un certain abbé Pierre a parlé sur Radio-Luxembourg en demandant qu’on envoie des dons pour les miséreux qui meurent de froid dans la rue. Dieu sait à quel point je n’aime pas les hommes d’église, pourtant, celui-ci semble différent et je dois reconnaître qu’il me plaît assez.
J’ai enroulé un long châle autour de mes épaules et je suis descendue dans la cuisine avaler un bol de café au lait. Jeanne et tonton Georges étaient déjà partis à la manufacture. J’ai versé le liquide fumant dans mon bol et, comme à mon habitude, je me suis posée devant la cuisinière à bois, les fesses installées sur le rebord de ma chaise. J’ai attendu que la chaleur pénètre lentement chaque centimètre de ma peau avant de commencer à beurrer mes tartines. Depuis dix ans, je n’arrive pas à m’habituer aux hivers rigoureux de la Franche-Comté. Jamais je n’avais ressenti cela lorsque je vivais à Paris. Tata Geneviève a eu beau essayé de me faire manger davantage pour que la graisse m’aide à lutter contre le froid, rien n’y fait. Même si j’ai quelques kilos de réserves, je souffre tous les hivers. Tonton Georges m’appelle « le cul gelé » pour rigoler. Je me doute bien qu’il dit cela pour m’amuser et affaiblir ma peine. Si la vie avait été différente, si la guerre n’avait pas ravagé nos vies, je serais certainement au chaud dans une salle d’école de sténodactylo de notre quartier de Montmartre. Mon cher papa aurait demandé à maman de préparer des colis de denrées alimentaires pris dans la réserve pour les apporter aux pauvres de l’abbé Pierre et nous y serions allées toutes les deux bras dessus, bras dessous, après mes cours.
Hélas, tout a disparu pour toujours, les ruelles pentues de notre arrondissement, les immeubles, notre boutique. Papa, maman, vous me manquez tellement. Les longues nuits passées à pleurer sont derrière moi, tata se montre à la hauteur de la mission que vous lui avez confiée. Elle m’a toujours soutenue pour que je ne glisse pas dans les abîmes du désespoir. Elle fait de son mieux pour que les fantômes du passé ne me retiennent pas et m’empêchent d’avancer. Le temps qui passe est pourtant un ami terrible, il m’aide à cicatriser la plaie profonde laissée par votre départ mais en contrepartie, ce traître sournois estompe peu à peu les souvenirs de notre histoire. Je lutte constamment pour garder en mémoire les traits de vos visages aimants, vos rires, vos baisers, les brides de ce quotidien qui a façonné mon enfance à vos côtés. Vos voix s’éteignent lentement, certains détails se gomment malgré tous mes efforts pour les emprisonner dans ma mémoire. Si je vous oublie, alors il ne restera plus rien de vous et cela m’est insoutenable. Si je vous oublie, les livres de vos deux vies seront brûlés, réduits en cendres noires qui s’envoleront aux premiers vents. Toutes les traces invisibles que vous avez laissées disparaîtront. A quoi sert de s’émerveiller, rire, vibrer, pleurer, de se régaler ou de détester, de s’émouvoir, de questionner le monde, de philosopher, d’espérer, d’aimer si tout cela disparaît en un instant dans le noir de la mort à la première bombe qui tombe ? Les lumières et les ombres qui nous traversent se voileront-elles pour toujours ? Tout cela est-il vain ? A quoi sert-il de vivre puisque tout s’efface à notre mort ? Puisqu’il ne reste rien de nous.
A quoi sert-il de vivre ?
Journal de Rose Mardi 23 février 1954
Aujourd’hui, je vais me présenter pour un nouveau travail. Je ne sais pas vraiment ce qui m’attend mais ça ne pourra pas être pire qu’à l’usine. Passer ses journées à faire les mêmes gestes répétitifs, un chef collé derrière soi en permanence et à qui il faut demander la permission même pour aller aux toilettes, trop peu pour moi. J’ai tenu quelques mois dans le bruit assourdissant de la manufacture mais dès que j’ai entendu parler de ce poste de bonne à tout faire par la boulangère, j’ai décidé de me présenter. Tata Geneviève et tonton Georges n’y sont pas opposés, pourvu que je ramène une paie chaque mois. Jeanne, ma cousine, travaille déjà depuis deux ans et l’usine semble lui convenir. Elle ne se pose pas autant de questions que moi sur le sens de la vie et nos conversations tournent vite court. Elle pense que je me torture trop l’esprit et que je ferais mieux de laisser couler. Bien que nous ayons le même âge, j’ai parfois l’impression d’être tellement plus vieille qu’elle. Je ne pense pas qu’il y aura beaucoup de concurrence, les filles du village préfèrent trimer sur les métiers à tisser comme leurs parents plutôt que de « faire la boniche ». La plupart travaillent en attendant d’être majeure, de se marier et de pondre des bébés. Très peu pour moi !
Même si je n’attends pas grand-chose de la vie, et avec tout le respect que je dois à ma famille, je sens au plus profond de mon cœur que le quotidien des gens de ce pays, une vie simple et sans inspirations, sans couleurs, à l’image de la campagne qui m’entoure par ce pâle matin, ne ressemble pas à ce que j’aspire. Dans deux ans, je serai majeure et il n’y a rien qui me retient ici. Tonton Georges m’a toujours dit que je serai libre d’aller où bon me semble. Peut-être retournerais-je à Paris ? Mes parents m’ont laissé un peu d’argent sur un livret et je pourrais l’utiliser pour reprendre des études ? Pour le moment, rien n’est encore clairement défini dans mon esprit mais ce dont je suis sûre, c’est que j’aimerais découvrir mon Chemin, au-delà du sentier tracé par la fatalité. Un chemin de traverse qui m’emmènerait loin, très loin. A condition de ne pas m’y perdre en chemin.
Journal de Rose Mardi 23 février 1954
Il est 23 heures et j’écris à la lueur de la bougie pour ne pas réveiller Jeanne qui ronfle à côté de moi. Je ne parviens pas à trouver le sommeil après ces premiers moments passés chez Hannah. Cette rencontre est tellement extraordinaire qu’il faut que je note chaque détail avant que le sommeil ne dissipe les impressions laissées par cette journée particulière.
Je suis partie vers 8h30. J’avais noué mes cheveux en une tresse serrée, revêtu ma pèlerine sur ma longue jupe et mon pull en laine, mon béret, mon écharpe et mes gants. La maison se trouvait à l’extérieur du village et je savais qu’il me faudrait affronter le froid jusque-là. Au dehors, l’interminable hiver avait emprisonné la nature environnante dans une couche de glace épaisse et translucide. Tout semblait figé dans un fourreau luisant et bleuté. L’hiver sait montrer sa froide beauté mais ne permet pas de l’apprécier tant sa rudesse meurtrit les pauvres êtres de chair que nous sommes. J’ai traversé le village d’un pas rapide afin de ne pas me laisser happer par la froideur qui commençait à saisir mon visage et à s’introduire dans mes poumons à chaque respiration. D’immenses stalactites tombaient des réverbères, des toitures, des branches des arbres en grandioses volutes transparentes. Après le cimetière, j’ai commencé à gravir plus lentement le chemin qui mène à la sortie du village. Les bruits de la vie semblaient se perdre dans l’immensité immaculée recouverte d’un ciel laiteux. Il n’y avait plus de maison, juste le début d’une vaste forêt aux branches nues, glacées, et un très long mur en pierres. Il régnait un silence religieux interrompu seulement par ma respiration saccadée. Le froid avait emprisonné mon visage et je sentais mes muscles se figer. Est-ce que je pourrais encore articuler un mot à mon arrivée ? Pas un bruit ne troublait le calme environnant et je me sentais intimidée. De grands arbres aux larges troncs, des sapins de plusieurs mètres de hauteurs obscurcissaient l’horizon et le sol noir aux rochers gris recouverts de mousse verte, que la glace n’avait pas réussi à toucher. Il semblait qu’aucun être vivant ne peuplait cet endroit. Il me tardait d’arriver à destination.
Je n’étais jamais venue de ce côté du village; je gravissais de larges escaliers sculptés dans la roche à même le sol et usés par le temps. C’était assez pittoresque mais il fallait faire attention à ne pas glisser. La factrice avait raconté à tata que la propriété appartenait aux parents du docteur Duval et qu’il avait décidé de la louer à leurs décès, préférant demeurer au centre du bourg pour faciliter l’accès de son cabinet aux malades. Le locataire était arrivé récemment avec sa femme. C’était elle, une très jolie dame avec de belles manières, selon la boulangère, qui lui avait demandé si elle ne connaissait pas une jeune fille sérieuse intéressée par le travail de domestique.
Je me suis retrouvée devant un immense portail noir en fer forgé. Des corbeaux s’élevaient en croassant. La bâtisse, qui apparaissait au bout d’un étroit chemin de gravillons, avait la majesté des beautés d’autrefois. Elle s’élevait au-dessus de la vallée qu’elle dominait de son ombre imposante. Pourtant, lorsque je l’avais cherchée des yeux depuis le village, il m’avait été difficile de la distinguer tant ses lignes brutes se perdaient dans les ombres noires de la nature environnante. Tout était sombre. Sombre et froid. Je ne distinguais rien des hautes fenêtres à croisillons. Deux tourelles en pierre se détachaient d’un coin de la façade autour desquelles des oiseaux tournoyaient. La maison semblait inhabitée et j’hésitais à frapper à la porte massive. J’étais transie de froid mais aussi d’angoisse. Une inquiétude qui me glaçait le cœur et me donnait envie de rebrousser chemin, mais j’ai repensé à l’usine, aux énormes machines, au bruit, au chef, et je me suis dit que rien ne pourrait être pire. Alors, après une brève hésitation, j’ai frappé du poing, d’abord doucement puis plus fort tant la porte en chêne paraissait épaisse.
D’abord, je n’ai eu que le silence pour réponse. Un très long silence. Je retenais mon souffle, j’avais la sensation que ma petite silhouette allait s’évanouir sans un bruit dans ce décor mélancolique et disparaître pour toujours. Les oiseaux s’étaient éloignés. J’ai attendu encore, les mains jointes, trépignant pour ne pas me laisser complètement happer par le froid. Je n’osais pas faire le moindre bruit. J’ai observé les fenêtres mais tout demeurait calme. Tout à
coup, la porte s’est ouverte lentement et une voix à l’accent chantant m’a proposé d’entrer rapidement avant de mourir congelée sur place. Même si je ne distinguais rien dans le contre-jour, la pointe d’humour de la voix mélodieuse m’avait rassurée. J’ai pénétré timidement dans un couloir sombre. Je clignais des yeux tant le contraste entre la luminosité de l’extérieur et l’obscurité de la demeure m’empêchait de voir quoique ce soit. Je ne distinguais que les contours flous de mon hôte. Peu à peu, les lignes et les couleurs se firent plus nettes ; je découvris une très belle femme aux longs cheveux blonds, aux yeux clairs en amandes. Elle portait un châle de laine sur de frêles épaules. Elle devait avoir une bonne vingtaine d’année et me souriait. Tandis que je me présentais et lui expliquais le but de ma visite, elle continuait à sourire. Elle ressemblait à un ange avec sa peau laiteuse et ses cascades de boucles soyeuses. Lorsqu’elle prit la parole, sa voix était douce et posée. Elle tremblait et me proposa de nous rendre dans la cuisine pour boire un café.
Nous nous installâmes et elle me demanda de lui parler de moi tandis que je réchauffais mes mains engourdies sur la tasse fumante. C’est la première fois que quelqu’un me posait cette question, je ne savais quoi lui dire ; après quelques instants de réflexion, je lui racontai brièvement mes parents, Paris, notre séparation et la vie monotone au village. Elle se montra émue lorsque j’évoquai la douleur de quitter maman et papa alors même que j’ignorais encore que notre séparation serait définitive. Elle posa sa main sur la mienne. Elle aussi avait perdu ses parents.
- Je ne suis jamais allée à Paris, me dit-elle, cela doit être une ville vraiment extraordinaire.
Elle s’appelait Hannah, était née à Saint Petersbourg mais avait vécu à Rome depuis son adolescence. Elle avait épousé un prince vénitien plus âgé qu’elle et voyageait avec lui depuis plusieurs années. Ils avaient vécu deux ans à Prague avant de choisir ce petit coin perdu de campagne. Elle préférait vivre en ville mais les études de son mari imposaient parfois de choisir des endroits à proximité de la nature, de la mer ou de forêts. Elle m’expliqua qu’il était très érudit et travaillait en permanence.
- Je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi intelligent que lui , me souffla-t-elle avec admiration.
Elle m’expliqua qu’elle cherchait avant tout une personne discrète et sérieuse, une dame de compagnie en qui elle pourrait avoir toute confiance et qui ne raconterait pas au village la vie dans sa maison. Elle me proposa de visiter la demeure dont le mobilier cossu et confortable appartenait à la famille Duval. Elle me décrivit ce qu’elle attendait de moi : il faudrait que je veille à maintenir le feu dans les fourneaux du salon, de la cuisine, de la salle à manger et de sa chambre. Je m’occuperais également des repas, et des courses une fois par semaine au village. Alors que nous parcourions les pièces en enfilades, je me rendis compte que cette maison de maître était en grande partie inoccupée et glacée ; une impression de profonde solitude y régnait, exactement la même sensation que dans le parc alentour.
Elle se tut un long moment puis me fixa de ses yeux clairs comme pour sonder mon âme. Je ne sais pas ce qu’elle pouvait y lire mais moi, je décelai dans les siens une ombre furtive qui disparut rapidement. Elle me raconta qu’elle souffrait d’une maladie transmise par sa mère qui l’affaiblissait beaucoup et qui la maintenait régulièrement alitée plusieurs jours durant. Dans ces moments-là, il me faudrait veiller sur elle et subvenir à ses besoins tant elle était faible. Elle avait toujours refusé de solliciter son époux, jugeant cette tâche trop ingrate pour un homme tel que lui. Elle comprendrait que je puisse refuser le travail car ses demandes dépasseraient parfois les compétences d’une simple domestique. Si j’acceptais, je serais généreusement rétribuée.
Elle ne pouvait pas se douter à ce moment-là que rien n’aurait pu me faire changer d’avis. Et que l’argent n’était pas ma principale motivation. Hannah, la belle italienne née en Russie, représentait l’exotisme, l’aventure, l’ouverture sur un monde que je rêvais de découvrir. Alors s’il fallait parfois lui donner à manger, lui faire sa toilette ou d’autres choses peu ragoutantes, j’étais prête à tout endurer, pourvu qu’elle accepte de partager ses souvenirs de voyages avec moi. Je ne lui ai pas répondu exactement cela mais elle a compris et a accepté ma candidature en riant.
Maintenant, je vais pouvoir m’endormir. Et rêver à de meilleurs lendemains.
Hugo
- Hugo, dépêche-toi, on doit décoller dans cinq minutes ! Remets ta cravate correctement et frotte tes godasses, elles sont dégueulasses ! Magne-toi le cul !
- C’est à cause de ce putain de bus ! Il est encore passé avec dix minutes de retard.
Face au petit miroir accroché au mur, Hugo finissait le nœud de sa cravate noire en gestes nerveux et précis, passa ses longs doigts dans ses cheveux en bataille pour tenter de les discipliner. Ses collègues se levèrent rapidement de table, rincèrent leurs tasses à café et les déposèrent sur le rebord du lavabo.
- Si vous croyez que ça m’amuse de prendre ce putain de bus. Les vieux déboulent exprès aux heures de pointe. Ils poussent tout le monde, squattent les places assises en jetant des regards mauvais et font rouler leurs saletés de charrettes sur mes pieds. Je suis sûr qu’ils le font exprès ! Bandes d’emmerdeurs !
Il montait à l’avant du corbillard avec le maître de cérémonie et le vieux Julot, tandis que ses deux autres collègues s’asseyaient à l’arrière, à côté du cercueil, des fleurs et des couronnes mortuaires.
La quarantaine bedonnante, un visage poupin et doux, le maître de cérémonie s’était installé au volant et démarrait le Trafic, le vieux Julot, tout gris, tout petit et tout sec à ses côtés, fixait la route face à lui sans un mot.
- T’as cas t’en prendre qu’à toi, si tu picolais moins, t’aurais pas perdu ton permis !
- Font chier ces connards de flics !
- Je suis d’accord avec toi, ils feraient mieux de s’occuper de la racaille de ton quartier, plutôt que de passer leurs journées un radar vissé sur les yeux mais reconnais que tu l’as quand même bien cherché. Conduire complètement bourré avec refus d’obtempérer, c’était sûr qu’ils n’allaient pas te louper ! T’as eu du bol qu’ils ne te collent pas au trou. Mon vieux, faut assumer quand on est un rebelle.
- Et un asocial !
- Ta gueule Julot !
Flanqué dans son costume trop grand pour lui, le vieux Julot ne bougea pas d’un cil. Tandis qu’ils roulaient en direction de l’église, Hugo avait allumé l’autoradio et fumait une cigarette le bras posé sur la fenêtre ouverte. Le maître coupa aussitôt la musique.
- Bon Dieu, Hugo, tu sais que j’aime pas que tu fasses ce genre de truc quand on se rend à une cérémonie !
Hugo balança sa cigarette sur la route et referma la fenêtre. Ils n’échangèrent plus une parole et procédèrent à la célébration dans la plus grande discrétion comme ils le faisaient habituellement, chacun maîtrisant la tâche qui lui était impartie. Hugo gardait le visage fermé tandis qu’ils portaient le cercueil en direction de la sortie de l’église. Pour une fois, il n’était pas trop lourd et les gens, bien que nombreux, pleuraient discrètement.
Les démonstrations de sentiments l’exaspéraient au plus haut point. Rien de tel que des lamentations expressives pour l’agacer. Et quand ils geignaient en se serrant les uns contre les autres, la morve au nez, il baissait la tête pour qu’on ne puisse pas lire sur son visage le mépris qu’il éprouvait pour eux. Morts ou vivants, les hommes ne valent rien, alors pas la peine d’en faire tout un cinéma !
Hugo réduisait sa vie sociale au minimum nécessaire à sa survie, se contentant de ce boulot occasionnel qui lui convenait parfaitement. Il ne nécessitait pas d’échanges superflus et ses collègues avaient compris qu’il était inutile de chercher à converser avec lui. Au quotidien, Hugo évitait les gens autant que cela lui était possible, consommant une femme de temps en temps. Il passait sa vie seul, s’étant peu à peu refermé sur lui-même jusqu’à devenir prisonnier de son propre univers. Il évoluait dans un vase clos, hermétique au monde qui l’entourait. Un poisson rouge dans son bocal opaque.
Il lui arrivait parfois de se dire que sa vie n’était pas normale, que lui-même n’était pas normal mais cela le fatiguait vite. Il n’avait pas choisi. Les choses s’étaient imposées à lui sans qu’il puisse changer quoi que ce soit, alors à quoi bon lutter ? Il voulait nager tranquillement mais le courant l’avait emporté malgré ses vaines tentatives de résistance. Il lui semblait finalement plus simple et moins épuisant de se laisser aller. Couler. Lentement. Sans résistance. Il se disait qu’il finirait bien par toucher le fond et qu’alors il trouverait la paix. Il regagnerait le néant d’où il n’aurait jamais dû sortir.
Il venait de nulle part et y retournerait avec autant de facilité.